LSO Live LSO0749. Distr. Harmonia Mundi.
16 et 18 avril 2013, au Barbican. Ce devait être initialement l'un de ces concerts de Colin Davis avec son cher LSO, concerts grâce auxquels il réenregistrait peu à peu, et en public, son répertoire de prédilection. Sa mort, deux jours plus tôt, nous a privés de cette nouvelle version du Turn of the Screw, qui aurait sans doute renouvelé sa leçon par rapport à sa version Philips de 1981. Richard Farnes, l'excellent directeur musical de l'Opera North, avait pris le relais, et fort brillamment. Le résultat est superbe, et bien dans la ligne du grand chef décédé qui fut d'ailleurs l'un de ses mentors.
Sonorités de toute beauté, esthétique moins crue, moins sèche, plus lumineuse aussi que celle de la version princeps de Britten chez Decca, qui demeure de toute façon référence, mais autorise cependant qu'on fasse autre chose. Ici, et particulièrement à l'orchestre, cet autre chose, c'est un lyrisme envahissant, plus musical que dramatique. Certaines sonorités renvoient alors plus explicitement que d'habitude à toute une culture du XXe siècle, exposée plus clairement maintenant que le Turn s'est intégré au répertoire et n'est plus du domaine de la modernité active : réminiscences ici de la Frau ohne Schatten de Strauss, là du piano de Ravel - Britten ne s'est pas fait seul, même si son univers sonore reste particulièrement personnel. Ce charme sonore permet aussi de faire monter la tension de façon plus insidieuse que souvent, et donne aux ruptures d'ambiances (pour les apparitions fantomatiques, pour les scènes d'angoisse de la Gouvernante), un relief, une violence même, étonnants.
Vocalement, on se retrouve sur le même plan : un chant superbe, avec des scènes d'un lyrisme enveloppant (le Lac, par exemple, où les voix féminines s'entrelacent en linéaments fascinants), où même le Quint d'Andrew Kennedy devient plus séducteur que mystérieux, ce qui le rend plus dangereux encore. Plus charnel, plus normal, presque, que nombre de ses rivaux, ce qui n'empêche en rien le jeu de mélismes étranges de fonctionner à plein... Il faut alors souligner à quel point Sally Matthews, présence vraie, apeurée et vaillante, éperdue puis défaite, est une Gouvernante proche de la perfection. Sa voix est à l'aune exacte de ce qu'on aime entendre ici, entre beauté du timbre et sensibilité musicale. Formidable aussi le Miles innocent comme jamais de Michael Clayton-Jolly, jeune chanteur de Her Majesty's Chapel Royal Choir, face à la Flora de Lucy Hall plus mature qu'enfantine, mais fort bel instrument. Si la Miss Jessel de Katherine Broderick paraît moins fascinante - c'est le personnage qui le veut -, le relief de son chant en impose et elle peut ainsi rendre à la Ceremony tout son relief. Impeccable enfin, Catherine Wyn-Rogers en Mrs Grose. Faut-il répéter ici la force du chant anglais dans son répertoire naturel : il n'a pas de rival en cela.
Bref, on préfèrera toujours les mystères de la version Britten, plus authentique certes, mais cette nouvelle version s'inscrit haut dans une discographie dont on sait qu'elle ne comporte aucune déception, malgré le nombre de versions disponibles. Heureux Britten, qui n'aurait sans doute pas aimé ce trop plein de beauté, mais qui est ici fort bien servi.
P.F.