Janine Micheau (Fatime), Geori Boué (Zima), Suzanne Sarroca (Phani), Jean Giraudeau (Valère), René Bianco (Huascar), Rita Gorr (Bellone), Jacqueline Brumaire (Emilie), Chœurs et Orchestre de l'Opéra de Paris, dir. Louis Fourestier (1954).
CD Malibran 776. Pas de livret. Distr. Malibran.

 

Absent de la scène de l'Opéra pendant deux siècles, Les Indes galantes connut une résurrection en fanfare avec la production voulue et réalisée par Maurice Lehmann en 1952. Triomphalement accueillie, celle-ci fut rejouée durant treize ans jusqu'à totaliser 286 représentations - elle fut même choisie pour la réouverture du Théâtre Gabriel de Versailles (1957), en présence du président René Coty et de la reine Elizabeth II ! « Spectacle de Folies-Bergères à prétexte culturel », selon Philippe Herreweghe, cette production, basée sur la révision par Henri Busser de l'édition Dukas, s'éloignait sensiblement de son modèle ramiste : toutes les reprises et de larges pans des récits (les « scènes », comme les appelait Rameau, qui ne les édita qu'après le reste des morceaux) étant coupés, on a parfois l'impression d'assister à la « bande-annonce des Indes galantes » plutôt qu'à l'ouvrage lui-même. Des interludes parlés (et en vers !) dus à René Fauchois - auxquels s'ajoutent, dans notre enregistrement, les annonces délicieusement guindées de la Radio d'alors - introduisent les cinq Entrées (chacune confiée à un décorateur différent) et l'orchestre au complet accompagne les récitatifs (malgré les sourdines, les trombones se font ainsi bien insistants chez les Incas). Et pourtant, en dépit de ces outrages, en dépit de phalanges ignorantes du style requis (instruments jouant tout en notes égales, y compris les appoggiatures, chœur pléthorique et totalement perdu), le charme de la partition affleure en bien des endroits. On le doit d'abord à ce grand chef de théâtre qu'était Louis Fourestier (signataire, huit ans plus tôt, de la version de référence de Samson et Dalila chez EMI), qui dote les passages les plus picturaux - tempête, tremblement de terre, grand ballet des Fleurs - d'un souffle incontestable. Toute la troupe de l'Opéra des années 50 et 60 ayant pris part à la parade, on regrette que certains noms n'aient pas (l'Huascar de Blanc, le Tacmas de Vanzo, l'Ali de Jansen !) ou peu (Gorr, réduite à deux répliques) été immortalisés par le disque. Ici et à ce diapason, les ténors sont à la peine, quelques sopranos trop pointues (dont Boué) semblent égarées et Bianco, en dépit d'accents émouvants, cherche ses marques en Huascar. Mais de grandes dames nous consolent : Micheau, pleine de charme en Fatime, Castelli, pétulante Hébé, et surtout Brumaire en Emilie, d'une densité, d'une précision et d'une présence telles qu'on ne voit pas qui lui comparer dans les versions concurrentes. Avouons aussi combien cet enregistrement ravive notre nostalgie pour un art de l'émission vocale, qui - nonobstant ses inflexions datées, tels les « r » ou les diphtongues trop appuyés -  savait fondre le son dans le moule des mots et paraît à jamais perdu. Certainement pas une référence mais un document précieux.

O.R.