Lyon, Symétrie, 2014
Ceux qui l'ont entendue chanter sur scène ne s'en remettent pas, et en redemandent. Ce public adore la voix de Podleś, profonde et ample, aux couleurs de sombre velours. Par ses vertigineuses roulades et coloratures, par son étendue et sa puissance dans les aigus comme dans les graves, elle provoque chez les chefs d'orchestre « un plaisir presque orgiaque de lâcher l'orchestre fortissimo sans jamais craindre de couvrir sa voix ». C'est Marc Minkowski qui le dit dans la préface, et il sait de quoi il parle ! Ils ont fait ensemble trois intégrales mémorables, Armide, Ariodante et Orphée aux enfers.
Pour donner la pleine mesure de son talent, Ewa Podleś a besoin du public et de bons partenaires. Instinctive et généreuse, elle a cette forte personnalité artistique intransigeante qui ne lui facilite pas les engagements ni les contrats à long terme. Elle ne convoite pas les directeurs d'opéra et construit sa carrière plutôt avec les chefs qui l'apprécient, Alberto Zedda en priorité, parfois aussi Lorin Maazel, Bertrand de Billy ou Armin Jordan, dont elle dit « il « chante » par opposition aux chefs qui « marchent » en comptant la mesure...
Avec d'autres c'est parfois conflictuel, comme avec Charles Mackerras pour un ramarquable Rinaldo au Châtelet, où elle se voit obligée de respecter les cadences écrites par le chef anglais. C'est avec ce rôle qu'elle débute au Met en doublure de Marilyn Horne, en 1984. Elle chantera ce Rinaldo lors d'une tournée de quatre concerts avec Bartoli en 1991, mais c'est Cecilia B. (dans Almirena) qui monopolisera les feux de la presse et le marketing Decca. Cela laissera un goût amer à Podleś, reléguée au deuxième rang tout en chantant le rôle titre. Et elle sera remplacée par David Daniels pour l'enregistrement de ce même rôle chez Decca !
Il arrive souvent que sa voix de contralto provoque des malentendus et se voie traitée d'hénaurme. Si elle n'est pas belle au sens hédoniste, elle impose son style à elle, que cela plaise ou non. Sur scène Podleś charge un peu et bouscule les traditions, mais sort les émotions directement de la musique et chante avec son cœur. Ses rôles « en pantalon », comme Tancrède qu'elle sert pendant plus de 25 ans, comme Arsace ou Malcolm dans lequel elle a peu de rivales, prouvent une parfaite adéquation du ton de sa voix avec ces personnages. Elle est une grande Azucena, mais aussi Ulrica, Quickly et surtout Eboli, un rôle en or pour une femme au caractère entier, passionné. Elle ose Clytemnestre à Nice, Baba la Turque à Catane, Jocaste à Édimbourg, Erda à Seattle... Mais malgré 55 rôles à son répertoire, Podleś est restée assez éloignée des très grandes scènes - tout en faisant une brillante carrière internationale, d'opéra, de concerts et de récitals. En France, sa dernière grande apparition est en Madame de la Haltière dans la Cendrillon de Massenet à l'Opéra-Comique en 2011 : un triomphe.
On prend un vrai plaisir à lire cette biographie honnête et objective, qui ne cache pas les échecs et les erreurs - qui ne sont jamais des erreurs musicales. En trente ans d'intense carrière Ewa Podleś a réussi à préserver sa vie familiale, rester présente sur les scènes polonaises, garder la foi en sa valeur artistique et protéger sa liberté, absolument. Il y a bien assoluto dans le titre de ce livre !
M.P.