Mojca Erdmann (Lulu), Michael Volle (Dr. Schön, Jack l'Eventreur), Thomas Piffka (Alva), Deborah Polaski (Comtesse Geschwitz), Jürgen Linn (Schigolch), Stephan Rügamer (Der Maler, Ein Neger), Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Der Prinz, Der Kammerdiener), Thomas J. Mayer (Rodrigo), Wolfgang Hübsch (Der Medizinalrat), Anna Lapkovskaja (Gymnasiast, Theatergarderobiere), Staatskapelle Berlin, dir. Daniel Barenboim, mise en scène : Andrea Breth (Berlin, Schiller Theater, avril 2012).
DVD Deutsche Grammophon 004400734934. Distr. Universal.

 

Faisant fi du travail de Friedrich Cerha, la Staatsoper de Berlin a voulu sa propre version de Lulu, demandant à David Robert Coleman de reprendre la partition dans l'état où Berg l'avait laissée et de proposer ses propres réécritures. Beaucoup de bruit pour rien, et surtout beaucoup moins de musique au risque de déstabiliser définitivement l'ouvrage. Car en dehors des réaménagements pratiqués par Coleman, Andrea Breth a également eu son mot à dire. Pour des raisons dramaturgiques, exit le prologue (non mais !), exit le tableau de Paris : le spectacle s'ouvre par un pensum sinistre - un monologue tiré d'un texte de Kierkegaard - et l'opéra lui-même, par le cri de Lulu assassinée. Effet clouant, ce sera le seul de toute la soirée. Evidemment Andrea Breth met tout en abyme, Lulu, Schön, la Geschwitz, et malaxe l'ensemble avec un mépris pour la musique de Berg et le drame de Wedekind dont je ne pensais plus le Regietheater capable. Direction d'acteur façon zombie, à laquelle répond à l'identique Daniel Barenboim.

Jamais Lulu n'a été aussi médiocrement dirigée - métrique plate, désincarnée - et l'orchestre si épicé de Berg, de toute façon trafiqué par Coleman, si méprisé : adieu sensualité, adieu terreur, évidemment tout humour est interdit. Cette lecture pontifiante égare ses chanteurs. Michael Volle tente bien de donner du corps à Schön mais on le sent sous surveillance, loin de la liberté que lui laissait Christof Loy dans un spectacle pourtant réglé au cordeau. Parfaite à l'image, Mojca Erdmann n'a qu'une colorature à offrir à la plus sensuelle des héroïnes lyriques - un glaçon, en fait : contresens ! Thomas Piffka, dans une mauvaise passe, s'étrangle en Alva, Jürgen Linn nous fait Schigolch anonyme, quasi invisible. Un trio surnage, la Geschwitz de Deborah Polaski, maternelle plus qu'amoureuse, le Rodrigo grand style de Thomas J. Mayer et Wolfgang Ablinger-Sperrhacke, Prinze imbu, Kammerdiener impayable malgré le carcan Breth.

Spectacle prétentieux et inutile - à la rigueur, tentez le troisième acte où Coleman s'est montré assez subtil - que Deutsche Grammophon ne devrait pas vendre sans prévenir les amoureux de l'œuvre. Ils achèteront là une Lulu frelatée sans le savoir. L'éditeur doit se faire pardonner en restaurant et en publiant le spectacle historique de Patrice Chéreau dont il possède déjà la bande son.

J.-C.H.