DVD EuroArts 307 4978. Distr. Harmonia Mundi.
Une troisième Alceste en DVD, une troisième fois la version parisienne de 1776 (et toujours pas de version originale italienne de 1764 disponible à ce jour), et une troisième déception !
La direction d'Ivor Bolton n'est en aucun cas à incriminer : précise, analytique, vivante (voire parfois un peu trop animée), elle souligne admirablement les couleurs chatoyantes de l'orchestration et restitue avec une rare intelligence l'éloquence du discours gluckiste. Les chanteurs sont les meilleurs qu'il ait été donné d'entendre à ce jour sur ce type de support : Angela Denoke assume la redoutable partie d'Alceste avec une justesse d'intonation (jusque dans les redoutables oppositions de tessitures) et surtout une justesse d'expression perpétuellement convaincantes. La beauté de son timbre fait même rapidement oublier sa diction peu friande ce consonnes, Paul Groves est un Admète héroïque, mêlant idéalement vaillance et tendresse, et fait preuve d'une élocution parfaite, même s'il a souvent tendance à chanter en infime décalage avec le chef. Les chœurs sont également excellents - mais les rôles secondaires sont plus diversement tenus. Willard White campe ainsi avec autorité, mais aussi avec un vibrato exagéré, le rôle du Grand Prêtre.
Notre désappointement est principalement causé par la mise en scène de Krzysztof Warlikowski. Celle-ci fut copieusement huée à Madrid, ainsi qu'en témoigne le générique de fin du DVD. Elle repose sur une « fausse bonne idée » : confondre le destin d'Alceste avec celui de la Princesse Diana (!). Ainsi, le DVD s'ouvre par un prologue inédit : la reconstitution de la célèbre interview à scandale de la BBC. Puis tout l'opéra se voit truffé de références et d'allusions, suscitant l'intrusion d'épisodes soit parlés, soit silencieux, voire dansés, à chaque fois sans aucun rapport avec la partition originale. Rien ne nous est ainsi épargné, même le plus saugrenu : à la fin de l'acte II, Admète accuse (en anglais) son père (comprendre : le Prince Philip) d'être la source de ses malheurs, lequel l'abreuve en retour de reproches amers (toujours en anglais). La mère d'Admète se met inopinément à danser du flamenco sur un accompagnement de zapateado, tandis que la musique de Gluck s'arrête sans raison (une allusion à la dynastie régnante espagnole ?). Enfin, toute la mise en scène est envahie de temps morts (comme durant l'interminable préparation de la scène du Grand Prêtre), de changements ou déplacements de décors (certes plastiquement réussis) et de mouvements de personnages inutiles, le plus souvent dans un silence absolu, imposant de fastidieuses interruptions du discours musical, en tous points contraire à la conception gluckiste du discours opératique. Et quel méli-mélo de lieux et de situations ! L'acte I se déroule principalement dans un hôpital avec Alceste-Diana en visiteuse bienfaitrice, puis dans une église tenant lieu de temple d'Apollon ; l'acte II, dans une salle de réception (où ressurgit l'alcoolisme et la nymphomanie de la Princesse), tandis que l'acte III transpose la porte des Enfers dans une morgue. Là nous est infligé un trépignant bal de zombies érotomanes, puis Alceste doit finir ses jours dans un asile psychiatrique, véritable légume humain abandonné sur sa chaise roulante sous le regard effaré d'Admète et de leurs enfants ...
Il est bien sûr un autre regard effaré : celui du spectateur, pris en otage par un metteur en scène converti en démiurge omnipotent, alors que la partition sublime est magistralement défendue par des chanteurs investis et par un chef à l'intelligence rare. Malheureuse Alceste !!!
D.M.