Paul Appleby (Brian), Christopher Bolduc (Jake), Alice Coote (Anne Strawson), Maria Zifchak (la Mère de Brian), Kyle Pfortmiller (le Père de Brian), Richard Cox (le Célébrant), Andrew Pulver (soprano garçon), Sandra Piques Eddy (Fiona), Caitlin Lynch (Cynthia), Jennifer Zetlan (Rebecca), Judith Forst (la Mère d'Anne), Keith Miller (Peter), Dennis Petersen (Liam), Orchestre et chœur du Metropolitan Opera, dir. David Robertson (New York, live 2013).
CD Nonesuch 7559795602. Distr. Warner.

 

Un quart de siècle après le premier « CNN opera » par John Adams, le premier « Internet opera » par Nico Muhly ? L'étiquette serait aussi superficielle que convenue. Il n'en reste pas moins que l'idée d'intégrer à un livret (Craig Lucas) des dialogues inspirés par l'ancêtre des messageries instantanées - les « chatrooms » du paléo-Internet de 2001 - s'avère indéniablement fertile. Le pari était risqué : tirer de la langue codifiée et minimaliste des adolescents connectés une poétique et une musique viables. Après les trois scènes introductives (Jake, 13 ans, entre la vie et la mort à l'hôpital, a été poignardé dans un centre commercial ; Brian, 17 ans, est fortement suspecté du meurtre et répond à l'interrogatoire de la détective Anne Strawson), les premiers échanges écrits entre deux personnages sous pseudonyme ouvrent un champ dramaturgique dont le potentiel se révélera vite.

Indices diffus au premier acte, preuves au second : Jake a créé des personnages factices pour manipuler Brian et le pousser à l'assassiner. Jouant avec la tradition théâtrale du déguisement, Muhly incarne vocalement chacun de ces avatars : Rebecca, la grande sœur, est traitée tout en douceur par la soprano Jennifer Zetlan, tandis que Fiona (mezzo), la tante agent secret, se montre directive, ses interventions toujours signalées par une parodie orchestrale de musique de film d'espionnage. Keith Miller laisse volontiers déborder Peter, le jardinier psychopathe.

Presque trop assuré étant donné la prestance vocale de Paul Appleby, Brian n'en est pas moins émouvant lorsqu'il exprime sa fascination pour l'underground numérique. Alice Coote campe une Anna très humaine, seule personne à la fois adulte et responsable de l'opéra. Parfois caché sous les traits de son idéal fantasmé (le fringant baryton Christopher Bolduc), Jake, enfant de chœur, apparaît plus souvent en soprano garçon. Il a réussi sans se dévoiler à faire venir Brian à la messe, et tombe amoureux de lui. Muhly exploite copieusement l'impact émotionnel de cette voix juvénile et non vibrée, toujours à la lisière de la justesse. L'évocation ultérieure d'une relation sexuelle intempestive entre les deux garçons sert-elle à orienter plus ouvertement l'opéra vers une sensibilité gay ? Elle ne semble en tout cas pas indispensable à la conduite dramaturgique.

Les clins d'œil (figuralismes, références stylistiques et formelles) et les trouvailles (le chœur des « voix d'Internet », sorte de brouillard polyphonique, puis le duo virtuel d'Anne lisant les transcriptions des conversations en ligne et s'ajoutant mezza voce aux répliques chantées) révèlent un sens aigu de la dramaturgie musicale. Comme les chœurs, le tissu symphonique emprunte beaucoup à des modèles manifestes du compositeur : Reich, Adams et Glass. Dans les tutti nerveux et les éclats acérés de cuivres, David Robertson souligne avec les musiciens du Metropolitan Opera le brio de cette écriture. Quelques poncifs, platitudes et baisses de densité ne pèsent guère sur la réussite de cet opéra qui, dans cette version révisée de 2013, avait connu un franc succès à New-York.

P.R.