Markus Eiche (Kunrad), Simone Schneider (Diemut), Lars Woldt (Sentlinger), Wilhelm Schwinghammer (Pöschel), Song Sung Min (Tulbeck), Rouwen Huther (Gundelfingen), Monica Mascus (Elsbeth), Sandra Janke (Wigelis), Olena Tokar (Margret). Orchestre de la Radio de Munich, chœur de la Radio bavaroise, chœur d'enfants du Théâtre d'État de la Gärtnerplatz, dir. Ulf Schirmer (2014).
CD CPO 777920-2. Distr. DistrArt Musique.

 

Injustement méconnu, le « poème chanté en un acte » Feuersnot est une œuvre irrésistible d'alacrité par laquelle Strauss fit le plus splendide pied de nez à ses concitoyens munichois qui avaient réservé un mauvais accueil à son premier opéra, Guntram. Plein de mordant et d'un esprit sarcastique assez proche de Till Eulenspiegel, l'ouvrage se moque avec beaucoup de férocité des dignes Bavarois à la morale étriquée qui se montrèrent incapables de reconnaître d'abord le génie de Wagner puis celui de son disciple Strauss. Le livret est signé Ernst von Wolzogen, qui fonda à Berlin le fameux cabaret Überbrettl en 1901, l'année même de la création de l'opéra. À bien des égards, Feuersnot fut un nouveau point de départ pour le compositeur, comme il l'écrivit peu de temps avant sa mort : en plus d'inaugurer une longue collaboration avec l'Opéra de Dresde, qui créa neuf de ses ouvrages lyriques, Feuersnot préfigure de façon frappante plusieurs chefs-d'œuvre par son langage musical et son orchestration luxuriante. D'une durée de 90 minutes, soit un peu moins que Salomé ou Elektra, l'opéra réclame non seulement un orchestre aux vastes dimensions, mais deux chœurs, dont un d'enfants, d'un très haut niveau.

De même que dans l'enregistrement studio réalisé en 1985 (dir. Heinz Fricke), on retrouve ici l'orchestre de la radio de Munich, cette fois sous la baguette de son directeur artistique Ulf Schirmer et dans une forme toujours aussi éblouissante. Après sa très belle version d'Intermezzo, également parue chez CPO, Schirmer confirme qu'il est un grand chef straussien, particulièrement doué pour trouver le rythme exact convenant à la comédie, traduire le sarcasme et enfin l'explosion de sensualité de la scène d'amour aux accents nietzschéens.

Formant déjà équipe dans Intermezzo, le baryton Markus Eiche et la soprano Simone Schneider ne se hissent peut-être pas tout à fait au rang de leurs prédécessseurs de la version Fricke (Bernd Weikl et Julia Varady), mais emportent largement l'adhésion par la qualité de leur interprétation. Malgré un aigu manquant parfois un peu d'assurance, Eiche est un Kunrad ardent et fort convaincant dans la longue harangue finale qui constitue l'épine dorsale de l'œuvre. Pour sa part, Simone Schneider fait assez vite oublier un timbre un peu trop mûr pour la jeune Diemut grâce au côté primesautier qu'elle confère à son personnage. Au sein des nombreux rôles secondaires, il faut noter les excellents Song Sung Min et Lars Woldt en Tulbeck et Sentlinger. En revanche, le trio des trois jeunes filles (Elsbeth, Wigelis et Margret) laisse à désirer en raison de son manque de fraîcheur. Protagonistes essentiels de l'intrigue, les deux chœurs font preuve d'une virtuosité étourdissante. En somme, cette nouvelle parution permet de comprendre encore mieux l'affection que Strauss vouait à une œuvre qui fut pour lui synonyme de renouveau.

L.B.