CD RCO Live 14004. Distr. Outhere.
En 1952, Ferenc Fricsay révolutionnait l'interprétation du Vaisseau fantôme, refusant d'envisager l'opéra du jeune Wagner a posteriori de Tristan : orchestre clair, tempos prestes, articulations légères, tout un ensemble de nouvelles perspectives qu'Antal Dorati reprendra à son compte lors de sa légendaire gravure avec les forces de Covent Garden en 1960, supplantant Fricsay par sa distribution et par sa prise de son stéréophonique. Puis rideau. Tous virent l'océan du Vaisseau frère du Nibelung, abyssal, hanté, fatal, expressionniste. Bravo à Andris Nelsons de revenir dans l'orbe de Weber, de refaire briller ici ce romantisme noir en lui rendant son ton de ballade nordique plus fantasque qu'épique. Le Concertgebouw lui offre évidemment un instrument à la mesure de son propos : cordes en soie, bois en miel, cuivre en embruns et en écume, rien ici ne se tend, tout respire, l'espace sonore semble infiniment prêt à vous engloutir. Cette sensation de vertige saisit dès l'ouverture que Nelsons conclut avec le thème de la rédemption, et emporte les chanteurs.
Oui, il est probablement trop tard pour le Hollandais si juste, si intense et si poète pourtant (le duo !), mais si appauvri de timbre de Terje Stensvold, mais du moins le disque l'aura documenté. Au fond, la fatigue vocale qu'il surmonte à mesure durant le monologue est dans le sujet de celui-ci : comment la lui reprocher, d'autant qu'il délivre une interprétation toujours juste stylistiquement et plus d'une fois émouvante. Anja Kampe n'est elle-même pas dans son meilleur jour. Si l'aigu s'assure, le medium se voile, le vibrato désunit le timbre dans la Ballade, mais là encore l'incarnation s'avère majeure, entre fièvre et fragilité, désir et spleen, même si elle sonne plus affirmée encore dans le DVD filmé à Zürich (Deutsche Grammophon). Christopher Ventris donne à Erik une puissance, une affirmation pas entendue depuis Wolfgang Windgassen, et on ne reprochera pas à Kwangchul Youn de faire son Daland trop noble - la ligne, le style excusent son dédain de l'épate. Jane Henschel, Russel Thomas campent non des silhouettes mais de vrais caractères, dessinés comme les héros eux aussi de l'orchestre. Et le chœur, nombreux et mobile, profond et transparent, s'affirme personnage à part entière. Immense concert, imparfait, révélateur, passionnant, qu'il faudra ajouter à votre discothèque du Vaisseau.
P.F.