EuroArts 2059668. Distr. Harmonia Mundi.
Munich avait créé cette production en mai 2012 avec notamment la Giulietta d'Anna Netrebko, vedette phare du spectacle à l'égal du couturier Christian Lacroix ! De ce dernier on retrouve ici toute la luxuriante imagination esthétique, jointe à celle de son sobre décorateur (Vincent Lemaire), grâce à la reprise américaine que nous propose la collection EuroArts. L'élément masculin en costumes romantiques stylisés, tout comme le Roméo vêtu d'un drapé bleu nuit ou d'un gilet noir sur chemise blanche d'un XIXe siècle revu et épuré, acclimate sans hiatus la tragédie vénitienne à cette modernité. Charmante dans sa petite robe blanche courte et mousseuse, Giulietta se détache de la nudité décorative de sa chambre, sous un superbe groupe de marbre sculpté tout aussi laiteux. Plus gratuite la frénésie ostentatoire des robes dont se parent les chœurs féminins sous les éclairages toujours enchanteurs de Guido Levi. Gratuit et demi ce ridicule lavabo de porcelaine sur lequel Juliette se hisse dans l'attente fiévreuse de son amoureux. On frémit à l'idée de ce qu'un tenant du Regietheater aurait pu faire dudit lavabo mis à disposition d'une vierge à la veille de ses noces ! Rien à craindre, en fait, la régie théâtrale demeure des plus conventionnelles, et la seule audace notable réside dans le finale de l'ouvrage qui voit les deux amants marcher à la mort main dans la main.
Oublions les approximations d'un orchestre que le très idiomatique Frizza ne peut métamorphoser, oublions les seconds rôles médiocres et un Tebaldo de troisième ordre, pour ne retenir, avec quelques réserves, que le couple Di Donato / Cabell. Roméo fringant et vocalement impeccable de tenue, d'agilité superlative dans l'ornementation des da capo, la première habite son personnage de manière ébouriffante. Sa Juliette, la nouvelle star des studios Decca, admirablement métissée, tout aussi investie, soigne sa messa di voce initiale, laquelle augure bien d'un chant large aux colorations sensuelles et empreintes d'un certain fauvisme.
C'est ici que le bât blesse. La gémellité de ces deux timbres sombres, idoine dans une optique belcantiste strictement baroque, gêne dans une œuvre ouvertement romantique. On attend ici de la soprane qu'elle contraste par sa clarté, ses irisations diaphanes et la pureté de sa ligne, avec les poitrinages de sa partenaire. Nous entendons deux tempéraments ombreux, le medium de la petite l'emportant même sur celui du contraltino travesti, et l'indifférenciation des deux voix dissout finalement le couple. La remarque valait hier pour Netrebko et Garanca, nous la prolongeons devant cette intégrale - au demeurant torride.
J.C.