Bryn Terfel (Der Holländer), Anja Kampe (Senta), Marco Jentzsch (Erik), Matti Salminen (Daland), Liliana Nikiteanu (Mary), Fabio Trümpy (le Timonier), Chœurs et Orchestre Philharmonia de l'Opéra de Zurich, dir. Alain Altinoglu, mise en scène : Andreas Homoki (Zurich, 2013).
DVD Deutsche Grammophon 004400735173. Distr. Universal.

 

Bien vu ! Andreas Homoki place Le Vaisseau fantôme dans un huis-clos XIXe dévié de la société marchande que Patrice Chéreau n'aurait pas désavoué. Un comptoir colonial, des employés anonymes, une carte de l'Afrique, voici l'opéra océanique du jeune Wagner transposé en un drame colonial. évidemment, le Hollandais sera le sauvage spolié qui vient se venger, laissant à Senta le suicide comme seule issue. Le spectacle est, à sa manière, épuré et radical, somptueux, avec dans les éclairages et les mouvements de foule une esthétique qui évoque l'expressionnisme cinématographique allemand et rêve littéralement en noir et blanc. Un absurde kakfkaïen s'invite parfois, une tension continue habite ce spectacle majeur, assurément une des lectures les plus radicales qu'ait connue Le Vaisseau depuis celle de Martin Kusej.

Pourquoi ne pas lui avoir donné la Révérence, d'autant que Bryn Terfel y incarne son Hollandais dès le premier instant maudit ? La distribution, toujours habitée par la scène, est dépareillée vocalement par le Daland de Matti Salminen, hurlant, parlant, mais ne chantant plus. L'incarnation est par ailleurs prodigieuse, égalant celle de Bryn Terfel qui lui aussi atteint aux limites de son instrument. Il n'aura jamais la noirceur, le creusement qui ont fait les grands Hollandais - Hotter, London, Uhde, van Dam - et, plus d'une fois, malgré la jauge modeste de l'Opéra de Zurich, il force le mot contre le timbre. La révélation de la soirée sera donc Anja Kampe, affirmant sa Senta ici bien plus en voix et en mots que dans le concert du Concertgebouw dirigé par Andris Nelsons. Admirable à sa façon incandescente et fragile à la fois - mais on s'inquiète de la trouver çà et là en péril pour la justesse et trahie déjà par le vibrato : on n'a pas été Isolde si jeune impunément. Erik ardent de Marco Jentzsch mais parfois vocalement incertain, Mary inquiète selon Liliana Nikiteanu, suprêmement chantée, un bon Timonier, dans la fosse un orchestre modeste qu'Alain Altinoglu peine à transformer en tempête : on regardera d'abord le spectacle.

J.-C.H.