Lianna Haroutounian (Hélène), Bryan Hymel (Henri), Michael Volle (Guy de Montfort), Erwin Schrott (Jean Procida), Neal Cooper (Thibault), Jihoon Kim (Robert), Jean Teitgen (le Sire de Béthune), Jeremy White (le Comte de Vaudemont), Nicholas Darmanin (Danieli), Michelle Daly (Ninetta), Jung Soo Yun (Mainfroid), Royal Opera House Chorus & Orchestra, dir. Antonio Pappano, mise en scène : Stefan Herheim (Londres, octobre 2013).
DVD Warner Classics 0825646164349. Bonus : The Making of Les Vêpres siciliennes (6') et The Ballet in Les Vêpres siciliennes (3'). Distr. Warner Music.

 

En marge d'une vidéographie avare et jusque-là dévolue à sa mouture italienne, la version originale des Vêpres siciliennes était à ce jour uniquement documentée par la captation de la production d'Amsterdam 2010, parue chez Opus Arte. Quoique fort intéressante, cette proposition offrait néanmoins une entrée par le biais dans l'ouvrage, avec une relecture à la modernité acide. C'est dire que la production londonienne élargit fort opportunément le panorama, en lui apportant un pendant plus classique (scénographiquement) quoique tout aussi puissant (dramaturgiquement).

Pour leur entrée au répertoire du Royal Opera House, Les Vêpres siciliennes bénéficient d'une production qui salue intelligemment leur identité de grand-opéra français comme l'institution qui abrita leur création en 1855 : l'Académie impériale de musique de Paris. Les décors de Philipp Fürhofer nous situent dans la salle Le Peletier - en pleine représentation - tandis que les costumes Second Empire de Gesine Völlm distinguent clairement les oppresseurs (soldats spectateurs, qui des loges envahissent le plateau) des oppressés (choristes vêtus en Siciliens, évoluant sur scène). Un second niveau de lecture concerne le ballet : si Les Quatre Saisons de l'acte III sont, comme souvent, évacuées, c'est néanmoins au profit d'une présence continue de la danse : une cohorte de ballerines en tutu long rappelle une autre oppression inhérente au monde lyrique d'alors, celle exercée par les aristocrates et riches bourgeois sur les danseuses qu'ils « protègent » socialement pour mieux se les approprier sexuellement. C'est aussi la danse qui, pendant l'Ouverture, remémore au public le passé des protagonistes - le viol, vingt ans auparavant, d'une Sicilienne par Guy de Montfort, dont le fruit sera Henri. Hommage aux grandes pantomimes romantiques, le moment est saisissant dans sa brutalité comme dans sa poésie, idéalement posée sur les différents thèmes musicaux qui passent à l'orchestre. De bout en bout les chorégraphies d'André de Jong font mouche.

Si quelques accents sont ici ou là trop prégnants (chez Robert notamment), le français de chacun - et des chœurs, fort bien préparés - reste honorable, parfois même remarquable : la clarté d'élocution de Bryan Hymel (Henri) accompagne une émission souple et fringante, qui semble arriver sans fatigue en fin de représentation. Le couple qu'il forme avec Lianna Haroutounian est crédible et harmonieux, tous deux dignes et intenses. Elle, d'une belle profondeur de timbre, voix soyeuse et ombrée quoique d'un volume mesuré, incarne une Hélène qui force le respect et ne se satisfait pas des clichés expressifs accrochés à son rôle vocal, elle aussi aisée jusqu'au bout. Michael Volle est un Montfort subtil, dont les nuances servent les fêlures intimes du Gouverneur ; une plus cruelle férocité vocale serait toutefois nécessaire pour compléter les facettes du personnages - la férocité de l'acteur est, elle, indéniable. Antonio Pappano joue la carte de Vêpres bien tenues, sans accroc et opulentes - mais sans non plus cette charge implosive qui pourrait foudroyer. Malgré de minimes réserves musicales (on y ajoutera l'encombrante tête décomposée de Frédéric, que brandit Hélène sans trop savoir ensuite comment s'en défaire...), on savourera cette production de haut vol qui prend son rang parmi les belles réalisations verdiennes de notre époque.

C.C.