Ildebrando D'Arcangelo (Don Giovanni), Enrico Iori (le Commandeur), Myrtò Papatanasiu (Donna Anna), Marlin Miller (Don Ottavio), Carmela Remigio (Donna Elvira), Andrea Concetti (Leporello), Manuela Bisceglie (Zerlina), William Corrò (Masetto), Coro Lirico Marchigiano Vincenzo Bellini, Fondazione Orchestra Regionale delle Marche, dir. Riccardo Frizza, mise en scène : Pier Luigi Pizzi (Macerata, juillet 2009).
Unitel Classica / Cmajor 717408. Distr. Harmonia Mundi.
Don Giovanni en vidéo, c'est l'abondance - mais souvent des propositions spectaculaires aux distributions prestigieuses ratent pourtant leurs promesses et manquent de cette alchimie particulière au dramma giocoso de Mozart et Da Ponte, aussi virtuose que problématique dans sa gestion des lieux et des personnages.
L'édition 2009 du Sferisterio Opera Festival de Macerata livre peut-être un point d'équilibre précieux. Choisissant de placer Don Giovanni dans le cadre intimiste (400 places seulement !) du Teatro Lauro Rossi (1774), le Festival exalte les qualités primordiales de la production. Car Pier Luigi Pizzi - alors directeur du Festival - est ici à son meilleur. Le scénographe joue de l'épure (sur fond noir, un plateau nu dont la pente révèle des dessous propices à la cachette ludique comme à l'apparition surnaturelle), du signe fort (un lit central qui accueillera tour à tour tous les protagonistes et leurs ébats, solitaires ou partagés...) et de la beauté visuelle (le pastel des costumes, rehaussé par la poudre des lumières de Sergio Rossi). Quant au directeur d'acteurs, il retrouve un théâtre de corps et de chair où déplacements félins et étreintes nerveuses font en permanence vivre un plateau électrique. Presse et public avaient relevé en 2009 le caractère érotique de ce Don Giovanni - où Leporello et Giovanni partagent un même appétit sexuel, où le dépit amoureux se teinte d'excitation frustrée, où le Catalogue sonne comme une promesse de préliminaires gourmands. Pourtant Pizzi ne cherche jamais midi à quatorze heures : le XVIIIe est présent dans les costumes, le Commandeur revient en silhouette statuaire, et Don Giovanni est masqué lors de la scène chez Anna. De quoi nous prouver que vie et modernité n'ont pas besoin de « relecture » quand la force des enjeux - le sexe comme jusqu'au-boutisme métaphysique - est ainsi rendue. Le blanc du lit, qui aspire à lui toute l'obscurité alentour ; le rouge d'une cape, tache de sang qui grandit au sol ; la chair fantomatique des créatures dévoratrices de Giovanni : il suffit d'un rien pour que l'essentiel s'exprime, sans pour autant bousculer la lettre de l'ouvrage.
Certes, les forces musicales en présence ne se haussent pas à l'inoubliable. Si leur plastique permet à tous les protagonistes d'assumer la vision charnelle de la mise en scène, tous arrivent un peu au bout de leurs moyens en fin de représentation - qui est aussi une longue course-poursuite effrénée. Certains même avec de vrais problèmes de justesse (Carmela Remiggio, Elvira investie au début puis s'aplanissant au fur et à mesure : son « Mi tradì » déçoit beaucoup). Mais Marlin Miller (Ottavio très correct), Manuela Bisceglie (Zerlina délicieuse et... audacieuse), William Corrò (Masetto bien apparié) et Myrtò Papatanasiu (Anna de très belle eau) composent une équipe harmonieuse et soudée, que domine le « couple » Leporello/Giovanni. La fraternité physique d'Andrea Concetti et Ildebrando D'Arcangelo, le fait que ce dernier ait longtemps chanté le Valet avant de s'essayer ici au Don (belle prise de rôle !), renforce encore l'homo-érotisme finement suggéré par la mise en scène et joyeusement assumé par les deux interprètes. Concetti, malgré un timbre un peu astringent et une émission parfois très droite, a le bagout et la générosité de son personnage ; D'Arcangelo, fauve en liberté au ton mordant et jouisseur, convainc. Leurs deux incarnations « tiennent » le fil du drame en cours, quand bien même l'orchestre ne se hausse pas au même niveau. Car dès l'Ouverture, on sait qu'on n'aura pas avec la « Fondazione Orchestra Regionale delle Marche » une phalange d'exception : ses étagements ternes, ses attaques fades, sa netteté en défaut, sont constamment surveillés par un Riccardo Frizza contraint de s'en tenir à une sagesse prudente.
Réserves rédhibitoires ? Eh bien non. Si tout n'est pas musicalement idéal, le théâtre qui impose son urgence sublime toutes les défaillances. En opéra comme en amour, le désir est plus impérieux que la beauté.
C.C.