Entre 1949 et 1969, Maria Callas a gravé en studio 69 disques pour la firme EMI/Columbia. Cet extraordinaire patrimoine discographique est aujourd'hui restauré et fait l'objet d'un coffret-événement, car la prouesse technologique se double d'un choc esthétique : cette remasterisation diffère de celles déjà réalisées en 1980 (lors du passage au CD) ou en 1997 (pour le 20e anniversaire de la mort de l'interprète), tant l'évolution des outils de retouche numérique a élargi le champ des possibles. La haute définition offre aujourd'hui une fréquence d'échantillonnage encore élargie, qui conserve audibles bien plus de détails infimes du spectre sonore.
Le livret d'accompagnement (136 p.) est une mine d'informations. Historiques, d'abord : où l'on suit les difficiles négociations de Walter Legge pour arracher la signature du contrat qui liera Callas et EMI (c'est chose faite le 29 juillet 1952), le rythme effarant des débuts (quel artiste enregistrerait aujourd'hui, la même année - 1953 en l'occurrence -, Lucia di Lammermoor, I Puritani, Cavalleria rusticana et Tosca - sans compter une Traviata pour Cetra ?!), les crises de 1955 (EMI enregistre alors une Traviata avec Antonietta Stella) et 1963 (le Requiem de Verdi échoit à Elisabeth Schwarzkopf), les aléas logistiques dus ensuite à la vie mouvementée de la diva. Techniques, aussi : on piste chaque bande-mère magnétique, conservée dans les archives d'EMI à Hayes dans le Middlesex (seule la Medea de 1957 a disparu), chacune abîmée mais réparée ; on se remémore son report sur disque en laque, lui-même repris en négatif sur disque en métal - c'est la fameuse « matrice » ; on consulte les notes d'ajustage des techniciens d'alors (ici un filtre ajouté, là un bruit supprimé en fragmentant la bande...). On suit enfin la grande aventure de la remasterisation réalisée par l'équipe d'ingénieurs du son réunie sous la houlette d'Allan Ramsey dans les studios londoniens d'Abbey Road (le lieu même des gravures originelles) : traquer jusqu'au bruit du métro londonien ou d'une Vespa qui passe, remplacer les blancs entre les plages de récital par des silences « vécus »...
Voici donc désormais à la disposition de notre oreille la voix de la Callas telle que les bandes-mères l'avaient inscrite dans l'histoire. Des trois airs gravés en 78-tours pour Cetra Records en 1949 (le label est alors publié par Parlophone au Royaume-Uni) jusqu'aux derniers albums Verdi Arias III et Callas Rarities, en passant par de multiples intégrales et récitals, l'entreprise redonne sa vraie présence à la voix magnétique de la cantatrice. Elle semble plus proche, plus immédiate, d'une lumière plus naturelle : le choc est réel. Et ce qui est vrai de Callas l'est aussi de ses partenaires, ainsi que des orchestres enregistrés : ravivés par un éclairage neuf et pourtant juste, comme un tableau restauré qui retrouve ses teintes et, dès lors, son véritable esprit.
Incroyable expérience que de revivre les sensations du premier coup de foudre en redécouvrant l'être cher comme on ne l'avait jamais connu...
C.C.