CD NMC Records D197. Distr. DistrArt Musique.
Créé lors du festival parisien Présences en 2007, le bref opéra La plus forte d'après Strindberg avait de quoi laisser perplexe. Sur le terrain de l'opéra-comique, en revanche, avec un court mais efficace livret adapté de la pièce The Importance of Being Earnest d'Oscar Wilde, Gerald Barry fait mouche. Avec une intrigue et des répliques dignes d'une sitcom, le compositeur irlandais adopte la légèreté de ton sans basculer dans la farce. La narration est on ne peut plus conventionnelle mais, sans avoir l'air d'y toucher, Barry développe une vocalité qui neutralise de façon originale toute équivalence codifiée entre affect et figuration mélodique. La ballade écossaise Auld Lang Syne, par exemple, qui retentit dès le prélude pour piano dans un arrangement atonal assez fantaisiste supposé être du cru d'Algernon, réapparaîtra à de nombreuses reprises, bouclée sur elle-même, en tant que substrat mélodique, confiée à Jack et Gwendolen (acte I) puis Jack et Algernon (II) dans deux duos pince-sans-rire à la prosodie tarabiscotée. Toute emphase est abolie au profit d'un flux dramaturgique soutenu, lardé de clins d'œil référentiels où le premier degré n'a pas sa place.
Les chanteurs, individuellement excellents, ont tendance à fonctionner par binômes complémentaires. Les aigus tranchants de Barbara Hannigan se frottent avec quelques étincelles à la matière vocale plus minérale de la mezzo Katalin Károlyi, avant que le malentendu qui oppose Cecily et Gwendolen ne se dissipe. La truculente matrone Lady Bracknell, rôle travesti tenu par un Alan Ewing (basse) très à l'aise et désopilant lorsqu'il chute graduellement vers l'extrême grave sur de longues tirades (I), trouve son pendant avec la germanophile Miss Prism (Hilary Summers), qui y va de son propre arrangement, quasi-atonal, de l'Ode à la joie. Baryton léger et agile, Joshua Bloom assume sans excès les effets comiques de détimbrage et falsetto subits, tandis que l'ambiguïté du personnage double Jack/Ernest est adéquatement incarnée par le ténor plus versatile de Peter Tantsits.
La musique éclatante de Barry manifeste presque une certaine dureté qui évoque par moments le Stravinsky fauviste. L'ensemble hautement virtuose des musiciens de Birmingham est remarquablement réactif et brillant, et l'on appréciera particulièrement la limpidité de son pupitre de cuivres abondamment sollicité. Thomas Adès, qui les dirige avec fougue et précision, se sent manifestement comme chez lui dans cette musique. Malgré la traversée de quelques scènes parlées, un chœur parlé-rythmé (III) et un duo de porte-voix (II) auxquels le passage au disque fait perdre de leur sel, on arrive sans véritable encombre à la scène finale de révélation des identités, façon commedia dell'arte.
P.R.