Les Deux Aveugles + Croquefer ou Le Dernier des paladins
Laurence Dale (Patachon), Graham Clark (Giraffier), Jorge Lopez-Janez (Croquefer), Justin Lavender (Boutefeu), Jeffrey Francis (Ramasse-ta-Tête), Inger Dam Jensen (Fleur-de-Soufre), Jonathan Barreto-Ramos (Mousse-à-Mort), Broadcast Symphony Orchestra Saarbrücken, dir. Jia Lü (1995).
DVD EuroArts 2012488. Distr. Harmonia Mundi.


Quel curieux objet « lyrico-cinématographique » que ce Secret d'Offenbach ! A la fois fiction pseudo-historique et captation de deux opérettes d'Offenbach, ce film - livré ici en version française et sans sous-titrage des passages chantés - est une œuvre totalement originale, à la fois déroutante et captivante. Tourné en 1995 par le plus célèbre des cinéastes hongrois, István Szabó, notamment réalisateur dix ans plus tôt du célèbre Colonel Redl avec Klaus Maria Brandauer, le film raconte une soirée au Théâtre des Bouffes-Parisiens, sans doute en 1857. On y voit Offenbach (bien interprété par Tamás Jordan) prendre les ordres du comte (et futur duc) de Morny (János Kulka, lui aussi excellent), lequel entend, par les allusions qu'il introduit dans les ouvrages joués sur scène, susciter des réactions parmi les diplomates turcs, polonais, russes et prussiens qui assistent à la représentation.

Inutile de préciser que cette manipulation du répertoire offenbachien par le demi-frère de Napoléon III (qui fut certes le protecteur du musicien) est totalement fantaisiste. Tout, d'ailleurs, dans la reconstitution de cette soirée aux Bouffes-Parisiens, sonne singulièrement faux. Le film a été tourné au Katona József Theater de Kecskemét (à une cinquantaine de kilomètres de Budapest), une salle néo-baroque datant de 1896, très belle mais qui ne ressemble en rien aux Bouffes-Parisiens d'Offenbach. Les réactions du public, la composition de la salle, même les conditions de la représentation : rien ne correspond à la réalité historique. On dira alors : dans ces conditions, à quoi bon regarder Le Secret d'Offenbach ? Tout simplement parce que les deux œuvres jouées sur scène sont présentées ici de façon passionnante.

István Szabó, par ailleurs metteur en scène d'opéra, s'empare avec maestria de ces deux œuvres au contenu burlesque et presque surréaliste. Les décors reproduisant des lithographies en noir et blanc et les costumes d'une grande inventivité créent une atmosphère à la fois naïve et inquiétante. Szabó tire le meilleur parti des Deux Aveugles, la « bouffonnerie musicale » avec laquelle Offenbach ouvrit son théâtre en 1855. Cette pochade un peu facile est magnifiée par son talent. Croquefer ou Le Dernier des Paladins, géniale parodie du Moyen-Âge fantasmé des romantiques, offre au metteur en scène un matériau bien plus riche. Szabó en fait ressortir la force corrosive et l'incroyable pouvoir de séduction. Sous sa houlette, la distribution, où se mêlent des artistes plus ou moins connus, fait merveille malgré des accents parfois gênants. Dans la fosse, le chef chinois Jia Lü dirige avec beaucoup d'efficacité le Broadcast Symphony Orchestra Saarbrücken.

On l'a compris, il faut regarder ce Secret d'Offenbach en considérant la partie historique comme un conte fantaisiste dénué de tout fondement et en se concentrant sur les deux opérettes présentées ici sous leur meilleur jour. En complément, le DVD comprend un documentaire de Gérald Caillat, Le Manuscrit disparu, tourné en 2004 et consacré à la partition des Contes d'Hoffmann.

J.-C.Y.