Erato 08256 462206 9 4. Distr. Warner Music.
Quand il s'agit de représenter le combat de l'ombre et de la lumière, quelque forme qu'il prenne, Olivier Py a peu de rivaux. N'est-il pas lui-même un Janus, aussi porté vers le dépouillement que vers la luxuriance ? Moine et voyou, comme Poulenc ? Les Dialogues des Carmélites lui semblaient donc destinés - gageons qu'il nous offrirait des Mamelles truculentes... Dans un décor au dénuement gris bleuté, où pénètre pourtant la clarté de l'espérance et de la grâce, les Carmélites vivent leur passion, jusqu'au sacrifice final - vêtues d'une aube blanche, elles disparaissent dans les ténèbres lumineuses d'un ciel parsemé d'étoiles. C'est bien, en effet, la Passion du Christ qu'elles revivent : leurs adieux reproduisent la Cène, madame de Croissy agonise sur une croix. Le Carmel ouvre sur des arbres blancs semblables aux piliers d'une nef. à travers les barreaux de la prison passent aussi des rayons, comme si, pour elles, l'enfermement, ici comme au couvent, laissait toujours ouverte la porte de la grâce. Les gros plans nuisent souvent aux visages : rien de tel cette fois, ils disent au contraire la profondeur et la force du travail d'Olivier Py, en particulier dans une scène de la prison qui vous prend aux tripes, où les sœurs ressemblent à une couvée apeurée. La mise en scène est admirable de concentration, de subtilité - de classicisme, au fond, avec des références à la peinture de la première Renaissance italienne. Elle n'élude pourtant pas la dimension historique, dès le moment où sont projetées des scènes de révolution. Mais les slogans révolutionnaires sont détournés par des consciences moins occupées à repenser leur rapport avec le pouvoir qu'absorbées dans leur face-à-face angoissé avec leur Créateur : « Egalité devant Dieu », « Liberté en Dieu » - cela dit, n'est-ce pas la même question qui est posée ?
La figure de Blanche incarne, plus que tout autre, les doutes, les tourments de l'âme taraudée par une problématique aspiration à l'absolu. Dirigée par Olivier Py, Patricia Petibon compose toujours des personnages inoubliables, ici littéralement écartelée, la conscience à vif, accédant enfin à la transfiguration de la mort heureuse. Mais elle inflige parfois à sa voix des violences inutiles, succombe à sa fâcheuse habitude, dans la nuance, de figer les sons à la faveur d'une suppression très artificielle de tout vibrato, alors qu'elle pourrait être une des meilleures Blanche du moment. On ne parlera pas pour autant d'erreur de distribution, comme pour Rosalind Plowright ou Topi Lehtipuu, incongrus même si la première a de la présence et le second de l'élégance : les Champs-Elysées ignorent-ils qu'on peut ici trouver sans peine des chanteurs français tout à fait adéquats - et que Sylvie Brunet, par exemple, s'est depuis longtemps identifiée à madame de Croissy ? Chez Sophie Koch, attachante mère Marie tiraillée entre la rigidité et l'humanité, le problème réside ailleurs : dans une articulation pâteuse, dans des registres mal soudés. Ainsi, vocalement, ce sont Sandrine Piau, qu'on verrait tout à fait en Blanche, et Véronique Gens ou le Marquis de Philippe Rouillon, aussi, qui perpétuent la grande tradition française de la déclamation... qu'il faut évoquer ici parce que Poulenc lui-même s'en réclame : une sœur Constance naïve sans être mièvre, rayonnante de foi, une madame Lidoine roturière par ses origines mais si noble de port et de ligne. Jérémie Rhorer est assez anguleux au premier acte, un peu décousu également. Il prend ses marques ensuite, à travers une direction à la fois analytique et empathique, incandescente et maîtrisée, à l'unisson du drame. C'était, aux Champs-Elysées, la dernière production de l'année 2013.
D.V.M.