CD Palazetto Bru Zane. Distr. Outhere.
La création des Barbares devait avoir lieu au théâtre d’Orange restauré, où l’on pensait créer un Bayreuth français : le public n’y avait vu jusque là que des opéras connus ou des représentations théâtrales avec musique de scène. Cette fois, Saint-Saëns avait, sur commande, composé un opéra ad hoc, qui montrait un envahisseur germain conquis par une Vestale sensible à sa force et épargnant, du coup, les habitants de la ville – tout un symbole, évidemment... Mais on recula devant la dépense et Les Barbares échoua au Palais Garnier, en octobre 1901. Plus qu’avec le grand opéra, le compositeur de Samson et Dalila renoue avec la tragédie lyrique, plus proche du Berlioz des Troyens – de La Prise de Troie, surtout – que du Meyerbeer des Huguenots, qu’il avait prolongé dans Henry VIII. C’est du meilleur Saint-Saëns, qui a le sens du théâtre, ne confond pas puissance et pompiérisme, écrit pour un orchestre aux lignes claires et aux timbres raffinés, auquel il confie des passages importants – pas seulement le traditionnel ballet, couronné par une farandole entêtée. Il fallait ressusciter ces Barbares, en rien inférieurs à Samson – plus concentrés même, jamais kitsch : le duo d’amour, par exemple, est superbe, comme le grand Prologue symphonique avec la voix du Veilleur.
Le live stéphanois de février 2014 témoigne du travail remarquable accompli par Laurent Campellone dans la ville du festival Massenet : l’orchestre a atteint un niveau d’excellence que personne ne peut lui contester, en matière d’homogénéité notamment. Le chef connaît aussi intimement, au-delà du compositeur de Werther, la musique française de cette époque : cela nous vaut des Barbares vivants, colorés, où alternent la ferveur et la passion, l’extase et la violence. Catherine Hunold, malgré une émission parfois peu homogène et une voix sans grande séduction, se fond dans le falcon de Floria avec autant d’émotion que de vaillance. Mais elle le cède à Edgaras Movidas, à qui l’on ne peut reprocher que d’avoir un timbre trop solaire pour son rôle : netteté de l’articulation, noblesse de la ligne, souplesse de l’émission, il ne manque rien à son Marcomir, guerrier farouche dompté par l’amour. Il faut attendre le dernier acte, en revanche, pour que la Livie de Julia Gertseva bouge moins et trouve son grave. Les guerriers font assaut de bravoure, tant le Scaurus de Jean Teitgen que l’Hildibrath de Philippe Rouillon, aux côtés du Veilleur moins assuré de Shawn Mathey.
Les deux disques sont édités par le Palais Bru Zane dans la série « Opéra français », qui s’enrichit ainsi d’une nouvelle rareté. Ils s’insèrent dans un livre où l’on trouvera, comme toujours, des textes fort intéressants – regrettons seulement l’absence d’analyse de l’œuvre elle-même.
D.V.M.