Simone Kermes (Fiordiligi), Malena Ernman (Dorabella), Anna Kasyan (Despina), Kenneth Tarver (Ferrando), Christopher Maltman (Guglielmo), Konstantin Wolff (Don Alfonso), MusicÆterna, dir. Teodor Currentzis (2014).
CD Sony. Distr. Sony.


Il a un faux air de Tom Cruise mais, bien que né en Grèce, il travaille en Russie - en l'occurrence, à Perm, la « ville la plus à l'Est de l'Europe ». Adulé par une certaine presse « culturelle », le trentenaire Currentzis fait partie de ces enfants terribles - forcément terribles, aurait insisté une certaine Marguerite - venus secouer le vieil Occident. A l'instar de son quasi-compatriote le scénographe Tcherniakov, il prône une esthétique de la désacralisation, du « choc » : « Il faut jouer cette musique comme si l'on avait franchi un point de non retour, et l'énergie que cela génère est quelque chose qui fait peur, qui choque », avoue-t-il dans l'intéressante interview jointe au coffret. Pour le suivre dans son parcours, il a façonné (depuis 2004) l'ensemble orchestral et choral MusicÆterna, composé de musiciens « aux yeux d'adolescents, sans aucune culpabilité ». Cela s'entend à l'extrême réactivité de cette phalange, qui jamais ne s'attarde plus que nécessaire sur un son ou un climat, et n'aime rien tant que mettre en valeur tel détail rhétorique, tel pupitre jusqu'alors négligé par une approche plus « globale ». Reste que l'on avait déjà entendu ce type de lecture sous la baguette d'Harnoncourt, avec plus de raideur germanique, certes, mais aussi moins d'occasionnelle vulgarité (les passages bouffes, ici triviaux). Ce genre d'interprétation « sur-expressive » convient à quelques pages (le séria parodique de « Smanie implacabile » ou du premier air d'Alfonso) mais agace dans d'autres, tendant parfois à malmener l'orchestre (les cordes dans l'Ouverture, convulsive, avec ses tutti, soufflets, sforzandi et rallentendi pénibles ; l'harmonie lors de la sérénade dans le jardin). Bizarrement convaincante sur la durée grâce à une bonne gestion du principe de tension/détente, la direction de Currentzis manque cependant de cette élasticité, de ce souffle porteur, directement venu de l'art latin du bel canto auquel Così doit tout son charme.

Il faut dire que la distribution vocale reste de petit format : personne ne se montre vraiment marquant, à l'exception de Maltman dans « Non siate ritrosi » (un air qui inspire Currentzis). Les deux « premiers amoureux », lors de leur duo, ont même une fâcheuse tendance à user d'un peu glorieux parlando. Dans un rôle qui ne sollicite guère son aptitude à tintinnabuler mais plutôt un grave et un médium solides, Kermes parle, littéralement, la plupart du temps. Tarver, qu'on a connu enflammé, reste ici bridé, étroit de timbre ; Ernman sonne souvent terne, les deux comparses s'oublient vite. Cet enregistrement vaut donc surtout comme vivant témoignage - minutieusement monté en studio, cependant - de l'instinct d'un chef que l'on devrait trouver davantage à son affaire dans l'univers préromantique de Don Giovanni...

O.R.