Juliane Banse (Simplicius), Peter Marsch (le Gouverneur), Ashley Holland (le Mercenaire), Will Hartmann (l'Ermite), Harry Peeters (récitant), Chœur et Orchestre Philharmonique de la Radio Néerlandaise, dir. Markus Stenz (2012).
CD Challenge Classics CC72637 (2CD/SACD). Livret en allemand uniquement. Distr. NewArts Int.


Lorsque Karl Amadeus Hartmann assiste en janvier 1933, effaré, à l'accession de Hitler au pouvoir, il décide d'entamer une longue période d'« émigration intérieure ». Naîtront alors des œuvres où le style néoclassique laissera place à un langage marqué par de multiples références, principalement aux compositeurs visés par les nazis. La guerre de Trente Ans qui sert de cadre à l'opéra Simplicius Simplicissimus (1934-36, rév. 1957), conformément au récit du XVIIe siècle sur lequel se fonde le livret, est évidemment à mettre en parallèle avec le régime nazi, dont Hartmann suggère de façon prémonitoire le pouvoir de dévastation. Le loup que redoute tant Simplicius, jeune garçon naïf voire simplet, peut sans grand risque être envisagé comme une métaphore de Hitler.

Après l'ouverture, hommage explicite à Prokofiev, un récitant évoque les huit millions d'êtres humains tués entre 1618 et 1648. C'est par le biais d'un dialogue avec un paysan - Kristof Klorek, qui vante avec un bel aplomb, soutenu par un écho à peine voilé du Sacre du Printemps, le rôle nourricier de ses pairs - que Simplicius fait son entrée, projetant d'emblée, grâce à Juliane Banse, une aura saisissante : la grande clarté vocale de la soprano fait rayonner la candeur du garçon, tout en lui conférant par son assise et sa présence une dimension hiératique. Cet être sans défense exposé à la barbarie, qui conduira involontairement le mercenaire sanguinaire (impressionnant Ashley Holland) jusqu'à son foyer, est aussi la personnification de la dignité humaine face à l'abjection. L'Ermite, figure centrale de l'acte II, est la seule déception de cette distribution. Ses aigus tendus et instables, soutiennent difficilement la comparaison avec ceux, impeccables, de l'autre ténor (Peter Marsch) qui lui succède à l'acte suivant dans le rôle du Gouverneur.

Cette musique où se relaient à un rythme soutenu, outre celles déjà évoquées, les références à Mahler, Berg (via un choral de Bach...), Schönberg (le chœur parlé « O lauf... ») et Eisler (les marches militaires), n'est pourtant pas réductible à son éclectisme et témoigne d'une indéniable personnalité. On y goûtera une énergie concentrée, un sens du rythme scénique et un brio orchestral dont s'emparent Markus Stenz et l'orchestre de la Radio Néerlandaise pour livrer ici une prestation enthousiasmante.

P.R.