DVD DG 073 5146. Distr. Universal.
Le Prince Igor, oui, mais quelle version ? Au Met, Gianandrea Noseda et Dmitri Tcherniakov ont leur réponse. Ils éliminent d'abord ce qui n'est pas de Borodine, ce dont Glazounov et Rimski-Korsakov font les frais : pas d'Ouverture ni de troisième acte. Comme Valery Gergiev, dont le chef italien fut l'assistant, ils inversent ensuite les deux premiers actes. Certains passages de Borodine sont aussi rétablis, comme le second monologue d'Igor. Autant de choix cohérents, qui vont de pair avec certaines bizarreries : situés au troisième acte, le trio où Kontchakovna tente d'empêcher la fuite du père et du fils, le monologue où Igor évoque l'humiliation de sa captivité n'ont plus de sens puisqu'ils sont de retour.
On se doutait bien que Tcherniakov ne nous donnerait pas Le Prince Igor de tout le monde. Des projections d'images de guerre en noir et blanc situent l'histoire dans une époque beaucoup plus proche de nous - que les costumes situent plutôt à la fin du XIXe, quand la Russie n'avait pas renoncé à ses rêves asiatiques. Atmosphère de cataclysme avec, à la fin, un Igor retrouvant un pays ruiné, sans doute par ses ambitions guerrières, perdu au milieu de la foule, devenu quasi fou. Inutile donc de chercher dans le dénouement une exaltation patriotique de l'éternelle Russie : le metteur en scène préfère suivre l'itinéraire intérieur du Prince, qu'aura troublé sa captivité chez Kontchak. L'acte polovtsien, en effet, avec son immense champ de coquelicots, est celui de la nature et de la passion, antithèse de la cité va-t-en-guerre du Prince et corrompue de son beau-frère, que Iaroslavna ne peut évidemment pas diriger - les danseuses surgissent du champ telles des filles-fleurs, dans une chorégraphie très réussie d'Itzik Galili. Vision pessimiste, forte, comme toujours chez Tcherniakov, mais où le fil de l'histoire reste lisible, nonobstant les deux incohérences du dernier acte, comme s'il optait pour un certain classicisme.
Gianandrea Noseda, justement, refuse toute emphase, plus proche de Moussorgski que de Tchaïkovski, au rebours d'une certaine tradition russe que Gergiev perpétuait. Direction raffinée, souple, assez sobre, très tenue, plus portée sur la poésie que sur l'épopée, presque trop maîtrisée au début, qui s'abandonne progressivement à la théâtralité de l'œuvre. Très en phase avec la lecture de Tcherniakov, Ildar Abdrazakov est remarquable d'humanité et d'intériorité, superbe de voix et de style, père du Vladimir vaillant mais nuancé et délié de Sergey Smishkur. De Mikhail Petrenko on retiendra moins le chanteur, à la voix assez ternie, que l'interprète : terrible Galitski, moins truculent que violent et lubrique, d'une perfidie sadique. La Iaroslavna sensible d'Oksana Dyka tente en vain de l'affronter : heureusement meilleure qu'en Aida à Bastille, honnête et solide, juste desservie par un timbre ingrat. On ne chante pas moins bien chez les Polovtsiens : Kontchak très noble au phrasé royal de Štefan Kocán, court de grave cependant, Kontchakovna séductrice mais pas racoleuse d'Anita Rachvelishvili, beau timbre de contralto à l'impeccable legato.
D.V.M.