CD Decca 4783517. Distr. Universal.
Une Norma philologique ? Le chemin en était tracé depuis un certain temps. En 1964 déjà, Richard Bonynge rétablissait les tonalités d'origine de certains airs au profit d'une étourdissante Joan Sutherland, puis dans les années 1980 Fabio Biondi restituait pour partie l'orchestre originel voulu par Bellini, entreprises fascinantes mais imparfaites. Ces prémices ont donc enfin trouvé leur complétude. Cecilia Bartoli n'est pas novice chez Bellini. On a en mémoire l'émotion ressentie devant sa relecture drastique de La sonnambula : poésie, invention, art vocal naturellement belcantiste que minorait simplement une relative inadéquation entre le caractère naturellement expansif de la cantatrice et le personnage lunaire d'Amina. Ce hiatus cesse ici car la grande prêtresse tombe comme un gant dans la psychologie de la mezzo - et également dans sa vocalité, si l'on accepte le pari d'une Norma plutôt vue au travers du registre et du caractère de la Malibran et non plus de Giuditta Pasta. Certains frémiront d'entendre « Casta Diva » d'une part si bas (on est au diapason 430) et d'autre part si artificieusement réalisé, avec soufflets et ornementions fragmentées ; mais comme, soudain, la syntaxe bellinienne s'anime, comme enfin la ligne musicale n'est plus cette suspension générique, comme les couleurs ambrées de ce timbre se reflètent et se marient avec ceux de la grande flûte traversière en bois que Giovanni Antonini restitue enfin ! Cela vous change totalement le paysage musical de Norma, au point que l'œuvre prend un caractère moins uniment dramatique. Si Bartoli se réclame de Malibran, en l'entendant mordre dans les mots et orner avec autant d'art que de rage nous pensons sans cesse à Callas, même si elle ne peut prétendre au grand falcon que les écarts de tessiture exigés par Bellini désignent dans l'absolu. Mais baste, l'incarnation est clouante, l'art vocal incroyable jusque dans ses maniérismes, et la compagnie de chant assez relevée pour l'accompagner jusqu'au bout de son projet, du Pollione très stylé de John Osborne, un modèle qui en remontrerait à bien des ténors italiens, à l'Oroveso si noble de Michele Pertusi, en passant par l'Adalgisa subtilement dessinée de Sumi Jo qui, dans ce diapason, trouve un medium plein qu'on ne lui connaissait pas. Le drame se déroule, inexorable, et autant que les chanteurs l'orchestre le réalise, personnage à part entière soudain dévoilé. Cette révélation supplémentaire souligne enfin la pertinence du geste orchestral de Bellini, si longtemps élimé par des lectures génériques qui en ignoraient les dynamiques, les accents et le style. C'est d'abord par lui que cette Norma singulière se réalise et emporte nos suffrages.
J.-C.H.