C'est un cadeau magique que Richard Peduzzi offre au monde de l'opéra et du théâtre. Ce n'est pas uniquement l'histoire de sa complicité avec Patrice Chéreau, rencontré en 1968 à Sartrouville, ou de sa collaboration avec Luc Bondy à partir de 1988. C'est surtout une entrée dans le monde intime du créateur, à la fois dessinateur, peintre et scénographe. Peduzzi ouvre les portes de son atelier et aussi, avec beaucoup de pudeur, de son âme. On voit alors sous son crayon la genèse de tout ce qui vit dans nos souvenirs depuis 40 ans. Les images des Contes d'Hoffmann en 1974, de Lulu et du Ring, de Tristan à La Scala. De Julie de Boesmans, de Tartuffe de Molière et surtout de l'inoubliable Elektra d'Aix-en-Provence.
Un élan dans ces décors est né de la peinture et de l'architecture, à la fois solides et fragiles, voire éphémères. La cage de scène devient chez Peduzzi le lieu d'une possible évasion, proche de ses rêves. Il le dit très clairement : faire des décors c'est une façon d'échapper à l'enfermement. Car naître en 1943 à Argentin et être élevé dans les ruines du Havre, à tour de rôle par ses grands-parents paternels et maternels, ça marque à vie. Il s'échappe très vite, à 15 ans, vers Paris où vit sa tante, découvre les musées, le cinéma, le jazz, le Théâtre de l'Odéon, la vie nocturne à Saint-Germain-des-Prés... Et le dessin dans l'atelier de son maître, Charles Auffret.
Les pages consacrées à cet apprentissage, à l'art de la sculpture et de la lumière qui nourrissent son travail, sont éblouissantes. Peduzzi dessine ses pensées, peint ses rêves, arrive à réunir dans ses décors les siècles et les jours, en un instant. Il ne nous cache pas ses sources, se dit un peu voleur. Une usine désaffectée et un mur de temple romain lui inspirent le décor de Tristan. Les docks du port du Havre se retrouvent dans Quai Ouest de Koltès. Les simples maisons de village vues dans une gravure du XVIIIe siècle se transforment en cubes colorés dans Wozzeck. Le port de New York et l'écoute du jazz inspirent son décor du Crépuscule des dieux à Bayreuth. Une peinture, une fresque, un vestige, un mausolée, Peduzzi les dérobe et transforme. Et son entente avec Chéreau revit sous sa plume à chaque page, prend forme, révèle leur parfaite symbiose.
Son expérience de scénographe pour de nombreuses expositions ou de dessinateur de meubles le voit arriver en 1990, et pour 12 ans, à la direction de l'Ecole nationale des Arts décoratifs - alors à la Manufacture des Œillets à Ivry-sur-Seine. En 2002 commence la magnifique histoire de ses six années passées à la direction de la Villa Médicis où, dit-il, on perd le sens du présent, entre les églises et les coupoles gravées dans le ciel de Rome. Peduzzi se souvient avec admiration des artistes et artisans italiens, les Poggi, Memo, les frères Rancati, Tirelli, ces inoubliables fournisseurs du monde de théâtre. Rome l'inspire et la Villa Médicis revit, transformée en un véritable outil de travail et de réflexion. Il veut que les chercheurs s'y sentent bien, que le peintre s'initie à la musique, le musicien à la sculpture, l'architecte à la peinture. Mais l'évolution actuelle de la Villa le choque, avec la location de chambres et l'affluence de touristes. Pour lui, l'endroit devrait préserver son calme et le silence.
Une Chronologie et un Carnet de dessins complètent ce livre inspiré, édité avec soin, dont chaque page magnifie les arts de Richard Peduzzi. En le fermant on a aussitôt envie de le réouvrir.
M.P.