Voici un nouveau fleuron qui s'ajoute à la très riche collection « Musique et Musicologie » de l'Université de Saint-Étienne et que dirige Jean-Christophe Branger, spécialiste de Massenet et de l'opéra français sous la Troisième République. Le présent volume réunit les actes du colloque de la XIe biennale Massenet, qui s'est tenu à l'Opéra-Théâtre de Saint-Étienne en octobre 2012 et qui coïncidait avec le centenaire de la disparition du compositeur. À cette occasion, Jean-Christophe Branger et Vincent Giroud ont demandé à dix-sept musicologues de s'interroger sur la postérité d'une œuvre dont le prodigieux succès initial a été suivi d'une certaine forme de purgatoire, pour ne pas dire davantage, avant de susciter un regain d'intérêt, surtout à partir des années 1970. Même si l'ouvrage se concentre évidemment sur l'après-Massenet et ne vise pas à présenter de nouveaux éléments biographiques, il faut d'entrée de jeu insister sur le très touchant portrait qui se dégage en filigrane de l'article que Philippe Blay consacre aux rapports entre le compositeur et Reynaldo Hahn. On y apprend comment l'auteur de Manon a pu faire preuve d'une amitié très forte pour celui qui fut d'abord son très jeune élève au Conservatoire, dont il encouragea les premiers pas sur la scène musicale et pour qui il éprouva des sentiments quasi paternels. On y découvre aussi cependant la susceptibilité du maître, puisque cette relation fut mise à rude épreuve au moment où Hahn composa son ballet La Fête chez Thérèse (1910), dont le titre rappelait trop aux yeux de Massenet sa propre Thérèse (1907)...
Ce qui fait tout le prix de cette parution réside dans la variété des angles abordés et dans la documentation très solide de chacun des articles. Ceux-ci se répartissent en quatre sections qui abordent respectivement l'image de Massenet, son interprétation musicale et scénique, puis enfin son héritage musical. Comme il se doit, une grande importance est accordée aux écrits des musiciens français et étrangers non seulement de la Belle Époque, mais aussi de tout le XXe siècle et de notre temps. Sont ainsi conviés en un fascinant panorama Debussy, Saint-Saëns et Koechlin, aussi bien que Puccini, Giordano, Messiaen, Boesmans ou Fénelon (qui signe le « préambule » du livre) et quantité d'autres musiciens, journalistes et musicologues dont la diversité des points de vue témoigne du retentissement de l'œuvre de Massenet. Le legs discographique donne lieu à de passionnants articles où sont recensés les enregistrements des premiers interprètes de Massenet - dont certains créateurs comme Ernest Van Dyck en Werther, Jean Lassalle en Scindia (Le Roi de Lahore) ou Fiodor Chaliapine en Don Quichotte se retrouvent sur un CD qui en constitue le complément indispensable et ô combien précieux. Outre ces chanteurs des origines, deux articles présentent les enregistrements de Georges Thill (également présent sur le CD) ainsi que ceux de Richard Bonynge, Joan Sutherland et Huguette Tourangeau.
Trois textes sont consacrés à un certain nombre de reprises d'opéras de Massenet, en particulier sous le long règne de Jacques Rouché à l'Opéra de Paris (1914-1945), qui devait entre autres composer avec les exigences pas toujours commodes de Pierre Bessand-Massenet, petit-fils du compositeur. Au nombre des productions ayant depuis marqué durablement la mémoire collective, figure le tristement célèbre Don Quichotte mis en scène par Peter Ustinov au Palais Garnier en 1974 et dont Francis Claudon analyse finement les causes de l'échec. Plus heureuse, la Cendrillon de Benjamin Lazar, donnée à l'Opéra-Comique en 2011, inspire à Jonathan Parisi une étude comparative avec la production qu'Albert Carré avait conçue pour la création, dans le même théâtre, en 1899. Deux contributions plongent au cœur de l'analyse musicale en montrant les liens que l'on peut tisser entre certaines œuvres de Massenet et celles de Debussy et Messiaen. Il revient à Gérard Condé - auteur pour L'Avant-Scène Opéra de treize guides d'écoute d'opéras de Massenet - de conclure ce tour d'horizon en évoquant de sa plume alerte son parcours personnel de musicographe et journaliste musical qui lui a permis, depuis une cinquantaine d'années, d'être un témoin privilégié de l'actualité massenétienne. Ajoutons enfin qu'une iconographie particulièrement soignée et comportant de nombreuses photos en couleur contribue à la qualité de cette somme que l'on peut d'ores et déjà considérer comme une référence incontournable.
L.B.