EuroArts/Unitel 2072718. Distr. Harmonia Mundi.
Trublion scandaleux à Milan (son Bal masqué 2013), amusant à Genève ou Paris (son Barbier de Séville 2010/2014), Michieletto se devait, semble-t-il, de bousculer Falstaff à Salzbourg. Mais son idée de départ, pour incongrue qu'elle soit, ne développe ni perspective décalée ni regard neuf sur la comédie shakespearienne de Verdi. Certes, l'Auberge de la Jarretière s'est muée en Casa Verdi, maison de retraite milanaise (bien réelle, et fondée par le maestro) où un pensionnaire rêve du Falstaff qu'il a été (ou aurait pu être). Mais ensuite ? Le parti pris impose aux interprètes une présence permanente, un commentaire muet de l'action qui se déroule sous leurs yeux, une agitation permanente au contenu bien artificiel et qui n'apporte rien à l'intrigue ou aux personnages - cloîtrés dans un décor unique assez terne. La direction d'acteurs est, au demeurant, très soignée, mais privée de toute la distance, ironique ou mélancolique, que le point de départ semblait promettre. Seuls quelques moments font mouche : le vieux couple qui offre un tendre écho à Nannetta et Fenton, ou bien les ensembles féminins, chorégraphiés autour du canapé de Falstaff endormi en autant de cauchemars fugaces. Alors la poésie point, surtout grâce aux éclairages crépusculaires d'Alessandro Carletti. Mais les références à Verdi - portrait de Boldini et funérailles pluvieuses à l'appui - restent bien extérieures.
Bien sûr, Festival oblige, il y a une forme de luxe musical ici déployé. Mehta et les Wiener Philharmoniker dessinent un Falstaff aux coloris chatoyants et à la vie interne palpitante - nonobstant trop de sagesse dans les « Pizzica... » ou « Tutto nel mondo », sans réelle fièvre. Fiorenza Cedolins est une Alice aux séductions multiples, vocales autant que physiques, secondée par la Meg mutine de Stephanie Houtzeel. Mais on reste interdit devant la Quickly d'Elisabeth Kulman : silhouette sexy, certes, qui tranche avec les attendus, mais en rien la voix du rôle : le poitrinage est écrasé et dévore un bas-médium par ailleurs dessoudé, le tout produisant une vocalité en permanent effort de réglage - pénible. Délicieux amoureux : Eleonora Buratto en finesse, Javier Camarena en ferveur plus généreuse. Ford (Massimo Cavalletti, bien chantant) est desservi par un costume moqueur qui le prive d'une part de son vrai drame intérieur. Comprimari sans faute et, trônant au milieu d'eux comme un roi en son royaume, Ambrogio Maestri : magistral. L'Italien a maintenant promené tout autour du monde son Falstaff aussi brillant que raffiné, éléphant aux subtilités de souris qui renouvelle ici son exploit habituel, sachant même récupérer à des fins d'intention ses rares errances de diapason. Mais ce n'est pas ici qu'on voudra le revoir : à Zurich en 2011 (Cmajor) ou à Busseto en 2001 (EuroArts), en attendant surtout l'édition de la production de Robert Carsen, qu'il a servie à Londres, Milan et New York.
C.C.