CD Glossa 921629-F. Distr. Harmonia Mundi.
Dans les notes de programme de Castor et Pollux qu'il dirige actuellement au Théâtre des Champs-Elysées, Hervé Niquet juge inepte le livret des Fêtes de l'Hymen (qu'il a donné en concert l'an dernier dans le même théâtre). Et il est vrai que la seconde des huit œuvres signées en commun par Louis de Cahusac et Jean-Philippe Rameau ne brille pas par son texte : il ne leur arrive pas grand-chose à ces pauvres « Dieux de l'Egypte » (sous-titre de cet opéra-ballet en un prologue et trois entrées, créé en 1747) ! Seul l'acte II (« Canope ») met en scène un semblant de spectacle - rien de moins qu'une crue du Nil -, les autres se contentant d'offrir d'aimables duels artistiques entre Amazones et autres Bergers égyptiens. Bien entendu, le musicien dijonnais drape ce fatras poétique d'une scintillante partition, aussi redoutable pour l'orchestre (abondance de « ballets figurés », c'est-à-dire représentant une action) et le chœur (le fameux cataclysme, à dix voix) que pour les solistes (nombre d'ariettes inouïes cousues main pour Marie Fel, Pierre Jélyotte ou M. Poirier).
Les rôles de la haute-contre Jélyotte se voient ici équitablement distribués entre l'admirable, suave et sensuel Reinoud van Mechelen et un Mathias Vidal nettement plus tendu et emphatique. Si Chantal Santon ne dispose pas de l'étincelante précision et de la liberté qui caractérisaient Marie Fel, elle les compense par son chaleureux engagement (belle ornementation d'« Heureux oiseaux »), tandis que Carolyn Sampson apparaît trop figée. Malgré un bas registre écrasé, Jennifer Borghi parvient à convaincre dans le « rôle le plus grave de Rameau », ce qui n'est pas le cas d'une Blandine Staskiewicz trop brouillonne pour les vocalises qui lui sont dévolues. Enfin, Tassis Christoyannis campe un Canope noble et bien chantant mais assez peu imposant.
Pour le reste... On se pose des questions quant aux affinités du sanguin Hervé Niquet avec Rameau. La fougue, l'enthousiasme mais aussi l'impatience hâtive du chef semblent partout gênés par les délicatesses, les calculs, les subtilités du compositeur. Lignes pâteuses, simplifiées, parfois assouplies et heureusement incarnées (la sarabande de l'acte I, l'hymne de l'acte II), parfois survolées (l'ouverture, savonnée ; la tempête, bien batracienne) et contraintes (les récits) - avouons que Niquet et ses ensembles, charnus mais plébéiens, font parfois figure d'éléphants dans un magasin de porcelaine. Notons qu'en compensation, l'œuvre, jusqu'ici inédite, est proposée dans un écrin raffiné et merveilleusement documenté !
O.R.