Ildar Abdrazakov (Mefistofele), Ramón Vargas (Faust), Patricia Racette (Margherita, Elena), Erin Johnson (Marta), Chuanyue Wang (Wagner, Nereo), Renée Rapier (Pantalis), Brook Broughton (Eve), Luke Lazzaro (Adam), Orchestre, Chœur et Ballet du San Francisco Opera, dir. Nicola Luisotti, mise en scène : Robert Carsen / reprise par Laurie Feldman (San Francisco, octobre 2013).
EuroArts 2059678. Distr. Harmonia Mundi.


Entreprise redoutable que de se succéder à soi-même : c'est le cas avec cette production de Robert Carsen qui, un quart de siècle plus tôt lors de sa création, fit déjà l'objet d'un DVD capté sur cette même scène de l'Opéra de San Francisco et unanimement considéré comme une réussite absolue - L'Avant-Scène Opéra lui décernait alors sa Révérence. Robert Carsen venait d'exploser à Genève en présentant sa vision de l'ouvrage si périlleux de Boito ; il posait alors les marques de sa touche personnelle (le théâtre dans le théâtre, le sens de l'effet jouissif) et inaugurait une longue collaboration avec le décorateur Michael Levine - dont les loges de théâtre à l'italienne habitées d'archanges et peu à peu révélés derrière un tulle céleste translucide, ne furent pas pour peu dans le succès de la production. Pari gagné : 25 ans plus tard, la mise en scène déploie encore ses fastes spectaculaires - qu'une troupe américaine est à même de servir avec son instinct de l'entertainment jubilant - et son humour grinçant, forte d'une cohésion de pensée et d'un sens de la beauté visuelle inégalables, où jamais le détail n'apparaît décoratif, où tout fait sens et comble l'esprit autant que l'œil.

Pour justifier voire distinguer cette seconde captation, tournons-nous alors vers sa singularité : l'équipe musicale. Nouveau défi alors puisqu'il s'agit pour Ildar Abdrazakov de succéder à Samuel Ramey qui, lors du premier DVD, était rien moins que le Mefistofele de son temps. Second pari relevé : chez Abdrazakov, charisme et projection, ironie mordante et prestance du chant n'ont rien à envier à son prédécesseur. Moins noir de timbre et d'intentions toutefois, il dessine un Mefistofele séduisant avant que d'être inquiétant, d'autant que son jeu reste assez extérieur. Mais autour de lui, le plateau vocal est un simple sans-faute : Ramón Vargas tient et nuance son chant dans les situations les plus tendues et jusqu'au bout de la soirée - chanteur plus qu'acteur, certes ; Patricia Racette convainc dans les deux rôles féminins sans jamais accuser fatigue ou grossissement et les comprimari Wagner et Marta sont impeccables. La direction de Luisotti insuffle à l'ensemble une énergie qui semble inépuisable quoique toujours structurée. Chœurs galvanisés - et vocalement et scéniquement. Si Ramey ne parvient pas à s'effacer de notre souvenir, l'équilibre des qualités vocales ici réunies fait le mérite de cette seconde captation. On renouvelle la Révérence !

C.C.