Jay Hunter Morris (Captain Achab), Stephen Costello (Greenhorn), Morgan Smith (Starbuck), Jonathan Lemalu (Queequeg), Talise Trevigne (Pip), Robert Orth (Stubb), Matthew O'Neill (Flask), Joo Won Kang (Captain Gardiner). Orchestre de l'Opéra de San Francisco, dir. Patrick Summers, mise en scène : Leonard Foglia (octobre 2012).
DVD EuroArts 2059658. Distr. Harmonia Mundi.


Choisir Moby-Dick comme sujet d'opéra implique de se confronter non seulement au roman fondateur d'Herman Melville, mais également au célèbre film qu'il a inspiré à John Huston en 1956. Ainsi, l'entreprise menée par le compositeur américain Jake Heggie et son librettiste Gene Scheer suscite d'emblée la curiosité : par quels moyens l'opéra pourrait-il enrichir un monument de cette importance ?

L'adaptation présentait tout d'abord un défi de représentation scénique, lequel est assez ingénieusement relevé par le metteur en scène Leonard Foglia : vues de canots dessinées par ordinateur en fond de scène à la verticale, jeux d'éclairages rougeoyants lors de la collecte de l'huile de baleine, projections en vidéo des variations climatiques du ciel et de la mer... autant de moyens théâtraux réunis afin de faciliter l'immersion dans un environnement marin. Et pourtant, malgré cette débauche d'effets, l'ensemble paraît bien lisse : costumes du dix-neuvième siècle, gréement et cordages... la volonté d'illustration littérale ramène souvent au film de Huston - lequel bénéficie au moins d'un avantage incontestable : il a lieu en pleine mer.

L'impression d'une certaine platitude, d'une sous-exploitation du potentiel du sujet, est renforcée par la partition. En effet, l'écriture hollywoodienne, la linéarité musicale contribuent à dresser un tableau assez fade - là où justement davantage de piquant était attendu. L'orchestre volontiers illustratif (roulements répétitifs des vagues, scintillements du doublon doré), le peu de mise en valeur du contrepoint (sensible notamment dans les nombreux chœurs homophoniques de marins) installent une routine où l'ennui finit souvent par s'installer. Du côté du chant, les interprètes forment un plateau homogène et satisfaisant, au sein duquel on préfère toutefois le velouté et la chaleur du baryton Morgan Smith au timbre acide et agressif du ténor Jay Hunter Morris - quelque peu desservi, il est vrai, par une écriture vocale portant souvent le rôle d'Achab au bord de l'hystérie.

Pour peu qu'il nous soit familier, le mythe de Moby-Dick semble donc suffisamment fécond pour susciter encore un intérêt créatif. Cependant, comme certaines variations sur un thème fort, cette énième adaptation risque malheureusement de rester assez anecdotique, faute de lui apporter une substance nouvelle.

T.S.