2 CD + 1 DVD Nonesuch 7559-79590-0. Pas de livret. Distr. Warner.
Parmi les nombreuses œuvres inspirées de La Divine Comédie, il faut désormais compter ce fascinant « film-opéra » du compositeur néerlandais Louis Andriessen (né en 1939), qui a conçu non pas une adaptation d'un épisode de L'Enfer, du Purgatoire ou du Paradis, mais plutôt une réflexion sur le texte de Dante et la condition humaine. En plus d'extraits de Dante, le livret de La Commedia emprunte au Cantique des Cantiques, à La Nef des fous de Sebastian Brant (1458-1521) et à l'écrivain hollandais Joost van den Vandel (1587-1679).
Andriessen a collaboré de façon très étroite avec le cinéaste américain Hal Hartley, qui a réalisé le film projeté sur scène au moment de la création, à Amsterdam, en 2008. Outre de substantiels passages de ce film, le DVD qui accompagne l'enregistrement sonore nous permet aussi d'avoir une idée assez claire de la production scénique du Théâtre royal Carré, également réalisée par Hartley. Très dépouillée, la mise en scène laisse la première place au film et se limite essentiellement à faire évoluer les solistes sur des passerelles amovibles ou devant la fosse d'orchestre. Le film (en noir et blanc) se déroule à notre époque et s'articule principalement autour d'une troupe de musiciens ambulants, qui rappellent, aux yeux d'Andriessen, l'univers de Bosch. Le lien avec Bosch, Dante ou La Nef des fous s'avère toutefois trop peu explicite pour que l'on comprenne bien sa justification.
Quelque déroutante que soit sa dimension visuelle, cette Commedia s'avère un véritable régal pour l'oreille. Tout en puisant abondamment à diverses sources de la musique occidentale, Andriessen a en effet réussi l'exploit de composer une partition éminemment moderne, personnelle et d'une grande force expressive. Tout au long des cinq cantates qui totalisent 105 minutes de musique, on entend des réminiscences de Bach, Debussy, Stravinsky, Poulenc, en plus du jazz et de la musique minimaliste, sans que jamais soit mise en péril l'unité profonde de l'œuvre. Andriessen sait aussi bien trouver des couleurs médiévales d'une très grande délicatesse pour évoquer le Jardin des délices terrestres ou faire rugir son orchestre dans les scènes se déroulant en enfer. L'humour est même présent, en particulier dans un petit chœur final pour enfants qui constitue une espèce de morale un peu comparable à celles que l'on retrouve à la fin de Don Giovanni ou de Gianni Schicchi.
À la tête de l'ensemble Asko / Schönberg (comprenant entre autres un cymbalum) et des huit choristes du groupe Synergy Vocals, Reinbert de Leeuw accomplit des prodiges et démontre ses profondes affinités avec un compositeur qu'il fréquente depuis plusieurs décennies. Les rôles ont été écrits non pour des artistes lyriques, mais plutôt pour des acteurs-chanteurs, comme c'est le cas de Cristina Zavalloni qui, dans le rôle de Dante, est tout simplement renversante de grandeur tragique, mais aussi et peut-être surtout de gouaillerie. Andriessen voit d'ailleurs en elle la digne héritière de Cathy Berberian. Associée principalement à la musique baroque, Claron McFadden est une Béatrice merveilleuse d'intériorité et de beauté vocale, commentaire qui s'applique tout autant au Casella de Marcel Beekman. Enfin, les personnages de Lucifer et de Cacciaguida sont joués avec beaucoup de justesse par le comédien Jeroen Willems. Il aura fallu attendre six ans avant que ne paraisse cet enregistrement ; c'est bien peu en regard de la richesse de l'œuvre et de la puissance de l'interprétation.
L.B.