DVD Bel Air Classiques BAC109. Distr. Harmonia Mundi.
Cette Lulu a fait couler beaucoup d'encre, on espérait en être saisi, elle nous laisse sur le bord du chemin. Ecueil majeur, la réalisation musicale. Paul Daniel tient à peine son orchestre et ne l'emporte jamais. Il suit ses chanteurs, point-barre. Ce service minimum sacrifie l'imaginaire foisonnant que Berg apporta à la fosse de son second opéra ; une part du drame et toute véritable sensualité s'en trouvent sacrifiés.
Le plateau - à une exception près, et quelle ! - n'apporte guère de révélation. On admire le ton sec et désabusé que Dietrich Henschel met à son Dr. Schön, mais c'est un peu court pour incarner un personnage autrement complexe. Charles Workman se brûle aux aigus d'Alva et chante tout trop dur, Tom Randle se débrouille tout juste du Peintre, Pavlo Hunka est le plus anecdotique - de voix, de jeu et, comble !, d'intentions scéniques - des Schigolch qu'on ait croisé, Natascha Petrinsky a la silhouette et la séduction d'une Geschwitz qui serait parfaite si la voix était aussi sensuelle que son physique. On sauve Ivan Ludlow, Rodrigo athlétique à souhait, Tierbändieger ironique, le seul à se hisser presque à la grande révélation de la soirée, la Lulu de Barbara Hannigan. Une performance ? Oui, et pas seulement parce qu'elle fait tout l'acte I sur les pointes - Warlikowski voit sa Lulu danseuse étoile, son double en petit rat l'accompagnera la soirée durant, témoin de son assassinat final. Elle fait évoluer son personnage de l'innocence à la terreur, on la voit se métamorphoser sans que jamais la pure beauté du chant ni sa puissance d'expression ne s'en trouvent sacrifiées. Dommage que Paul Daniel lui fasse traîner son arioso du meurtre de Schön, ou délite le grand duo avec Alva.
Warlikowski est toujours ce directeur d'acteur fulgurant, mais ici seul Henschel et Hannigan lui répondent vraiment. Du coup, son univers se vide, les décors lavatory de Malgorzata Szczesniak sont redondants, les vidéos encombrantes et de peu de sens, le discours s'étouffe de références : le grand escalier de Peduzzi pour Chéreau est cité, on voit un rappel du Dahlia noir lorsque Schön se maquille d'un grand trait rouge avant de s'offrir au gun de Lulu - les stroboscopes de déchaînent à chaque décharge... bof. Même la parenté physique entre Henschel et Workman - laissant entendre qu'ils sont, au fond, le même personnage - n'apporte guère de surprise. La scène se peuple de créatures interlopes, l'identité sexuelle troublée est partout, même chez Rodrigo, une lycéenne punk donne le change de la modernité, tout ce que Cerha a écrit pour l'acte III est à peine habité par un geste théâtral. Mais Warlikowski se reprend et réussi la fin de son exercice : les passes sont assez prodigieuses, et lorsque paraît Henschel en Eventreur surmaquillé échappé d'une revue improbable, ont est glacé. Le malaise est là, on sait tout ce qui va arriver, même le grand « Nein » de Lulu cherchant le couteau. Il était temps.
J.-C.H.