Emöke Baràth (Elena), Valer Barna-Sabadus (Menelao), Fernando Guimaraes (Teseo), Solenn' Lavanant Linke (Ippolita), Emiliano Gonzalez Toro (Iro), Scott Conner (Tindaro, Nettuno), Rodrigo Ferreira (Peritoo), Mariana Flores (Giunone), Cappella Mediterranea, dir. Leonardo García Alarcón, mise en scène : Jean-Yves Ruf (Aix-en-Provence, 2013).
DVD Ricercar 346. Distr. Outhere.


Pour séduire la belle Hélène, Ménélas se déguise en amazone et propose de lui donner des leçons de lutte. Mais Thésée et son ami Pirithoüs s'éprennent des deux « femmes » et les enlèvent... Ce n'est que le début : durant trois actes (précédés d'un prologue mettant en scène le crêpage de chignon des déesses autour de la pomme de discorde), une vingtaine de personnages va multiplier les tentatives de viol, vrais combats, faux songes, déguisements et entourloupes diverses pour faire triompher le désir, la grande affaire de l'opéra vénitien. Sur un scénario de Giovanni Faustini (l'auteur de Calisto, Ormindo, Egisto), Nicolo Minato, librettiste de la période tardive de Cavalli, a troussé un livret un peu chargé en rôles comiques (parmi lesquels un Iro tout droit échappé du Retour d'Ulysse) mais désopilant et éminemment théâtral.

L'extraordinaire partition de Cavalli le nimbe de sa constante sensualité : en 1659, un an avant d'être appelé à Paris pour composer Ercole amante, le compositeur est au faîte de ses moyens. Sans renier ce récitatif modulant qui fait le cœur de l'opéra vénitien, il dispense airs ternaires ou vocalisants, lamenti ou autres basses obstinées et, surtout, multiplie les ensembles d'une prodigieuse inventivité (duos voluptueux, étonnants trios, quatuors « d'action » et même un sextuor).

Le chef argentin Leonardo García Alarcón saisit à bras-le-corps cette musique charnelle - jamais réentendue depuis 350 ans -, animant du clavecin sa bien-nommée Cappella Mediterranea (une douzaine de musiciens pour une vingtaine d'instruments). à sa baguette enflammée répond la pudique direction d'acteurs de Jean-Yves Ruf qui, tout en enfermant ses héros dans l'arène d'une corrida, veille à ne pas tirer l'action vers la gaudriole ou le mélodrame, mais plutôt à découvrir la labilité des rapports affectifs. On sera plus circonspect au sujet des costumes de Claudia Jenatsch, hétéroclites et peu seyants, du second décor (une forêt de lianes trop «conceptuelle») et des lumières de Christian Dubet, qui ne facilitent pas une captation hésitante. La jeune distribution (treize chanteurs pour vingt-trois rôles) se montre globalement enthousiasmante, à l'exception d'un insuffisant Pirithoüs et de deux mezzos (Solenn' Lavanant et, surtout, Anna Reinhold) discutables. La superbe basse de Scott Conner nous a particulièrement séduit, mais le grand triomphateur de la production reste le sopraniste Valer Barna-Sabadus, ardent Ménélas en dépit d'une diction encore floue. L'Iro plein de verve d'Emiliano Gonzalez Toro et l'Hélène classieuse (mais au timbre pauvre en harmoniques) d'Emöke Barath contribuent au succès de cette version, dont on aimerait aussi disposer en CD.

O.R.