Evelyn Herlitzius (Elektra), Anne Schwanewilms (Chrysothémis), Waltraud Meier (Clytemnestre), René Pape (Oreste), Frank van Aken (Oreste). Staatskapelle de Dresde, dir. Christian Thielemann (live 2014).
DG 479 3387. Distr. Universal.


Après Aix-en-Provence, Dresde, mais à la Philharmonie de Berlin, en concert le 11 juin 2014 : après Esa-Pekka Salonen, Christian Thielemann. Il fait sien le précepte de Strauss : « Dirige Salomé et Elektra comme si c'était du Mendelssohn : musique de sylphides. » Rien n'échappe à la baguette du chef allemand, qui obtient de son orchestre une limpidité chambriste, avec de superbes transitions orchestrales - entre la sortie de Chrysothémis et l'arrivée d'Oreste, par exemple. Mais il a beau regarder la partition au microscope, une dimension lui manque : la violence, le théâtre, la constante tension de la tragédie en temps réel. Cette dimension, un Böhm, à la tête du même orchestre, celui de la création en 1909, parvenait à la préserver, alors qu'il était en studio, toujours beaucoup moins éruptif que dans une fosse. Pas aussi novateur que Salonen, Thielemann, qui se pose de toute façon en héritier, plutôt proche de Böhm par la clarté des textures, est donc orchestralement superbe, apollinien, assez symphonique au fond : une version de concert, pas seulement à cause du live. Son Strauss, pour nous, c'est plutôt celui de La Femme sans ombre.

Qu'allait donner Evelyn Herlitzius sans le support de la scène ? Certes on a connu des filles d'Agamemnon à la voix plus belle, plus riche et plus stable. Il n'empêche : elle tient bon, jusqu'au bout, se confirmant comme l'Elektra du moment, farouche et fragile, assoiffée de tendresse comme de vengeance. Est-ce parce qu'on ne peut s'empêcher, inconsciemment, de la voir ? Peu importe. Anne Schwanewilms, en revanche, a perdu de sa lumière dix ans après la version Bychkov, l'aigu n'a plus la même facilité : sa Clytemnestre paraît aujourd'hui différente, plus douloureuse. Waltraud Meier reste telle qu'en elle-même, avantagée par les micros alors qu'on sait l'état de sa voix aujourd'hui : une Clytemnestre patricienne, distanciée, encore jeune, rien moins qu'hystérique, aux graves trop modestes aussi, qui a un incomparable sens du mot mais ne l'éructe jamais. Mariée à l'Egisthe médiocre de Frank van Aken, elle tombera sous les coups de l'Oreste marmoréen de René Pape.

Cela dit, quand on a Herlitizus et Meier à Aix, Schwanewilms chez Bychkov... Restent les splendeurs de l'orchestre de Thielemann - sauf si vous voulez qu'Elektra vous prenne à la gorge.

D.V.M.