Chantal Santon (Laméa), Philippe Do (Démaly), André Heyboer (Olkar), Mathias Vidal (Rustan), Katie Velletaz (Ixora), Jennifer Borghi (Divané), Mélodie Ruvio (Dévéda), Frédéric Caton (le Brame Hydérame), Solamente Naturali, Chœurs Svetoslav Obretenov, Musica Florea, dir. Didier Talpain (Sofia, 2012).
CD Ediciones Singulares / Palazzetto Bru Zane ES1016. Distr. Outhere.


L'histoire est souvent ironique. En paraissant Salle Montansier le 15 décembre 1807, La Vestale faisait sensation : la critique, dès la première, tressait des lauriers à Spontini comme elle en tressait à Cherubini depuis sa Médée de 1797, Falcon et Nourrit y enflammeraient, la centième passée, un public fidèle. La cause était entendue : la Tragédie Lyrique - désignation accolée par Spontini à sa Vestale - après Gluck était réformée par les Italiens de Paris.

Et Catel ? Pris dans les querelles qui mettaient au ban des théâtres tous les membres du Conservatoire, sa somptueuse Sémiramis (1802) tomba victime de la cabale. Un récent enregistrement a permis d'en apprécier et l'orchestre subtil et l'art très fin d'une déclamation dramatique qui rendait justice au français - regardé d'assez loin par les Italiens. L'échec défit Catel qui s'éloigna de l'Opéra pour tenter sa chance à l'Opéra-Comique, mais son art naturellement noble n'y usa que d'artifices. Il lui fallait un livret et plus encore un librettiste. Cette fois, le destin fit bien les choses qui désigna le livret qu'Etienne de Jouy avait déduit de Voltaire - un travail encore plus séduisant que celui entrepris pour La Vestale. Tous les composants du grand opéra héroïque y paraissent, enflammant Catel et lui inspirant une musique ardente - tout le rôle de Laméa est marqué du sceau d'une audace extrême dont Caroline Branchu, si louée par Berlioz, s'empara avec l'éloquence qu'on imagine. Mais en dehors du ton de tragédie imposé par un sujet historique, d'une écriture à grands effets pour le chœur, de ballets intégrés à l'action, d'un orchestre à l'effectif imposant déjà versé dans le romantisme et plein d'alliages surprenants, l'œuvre inaugure ce goût pour l'Inde qui marquera tant l'opéra français, de ces Bayadères à Lakmé en passant par Les Pêcheurs de perles. A l'aube du grand opéra romantique, Catel ouvre une voie nouvelle, encore liée à la déclamation gluckiste et pourtant départie d'elle par des subtilités d'écriture, un style aventureux, une invention jamais ostentatoire. Il faut dresser l'oreille car derrière l'habillage somptueux un vrai théâtre des sentiments est à l'œuvre.

Il fallait oser revisiter les parties périlleuses de Laméa et de Démaly. Chantal Santon est, dans la première, une révélation : chant altier, mots mordants, il ne lui manque qu'un éventail de couleurs plus marqué ; Philippe Do, dans le second, confirme que la grande déclamation lyrique est son affaire autant que l'élan réclamé par Catel qui ne lui ménage pas les aigus à la volée. André Heyboer rugit son Olkar, Mathias Vidal raffine son Rustan, Didier Talpain entraîne sa troupe bulgare avec éclat mais sans lourdeur. Le Palazzetto Bru Zane a une fois de plus fait de l'édition phonographique un art, décidément Catel est bien vengé. Les mêmes risqueront-ils son Wallace ?

J.-C.H.