Jennifer Johnston (Jocaste), Stuart Skelton (Œdipe), Gidon Saks (Créon), David Shipley (Tirésias), Benedict Quirke (le Berger), Alexander Ashworth (le Messager), Fanny Ardant (le Narrateur). Monteverdi Choir, Orchestre symphonique de Londres, dir. Sir John Eliot Gardiner (live IV.2013).
CD LSO Live SACD LSO O751. Distr. Harmonia Mundi.


Si Œdipus rex est un manifeste antiromantique, sir John Eliot peut passer pour son meilleur interprète. Plus que tout autre il refuse le lyrisme, jusqu'à la sécheresse. Ce qui l'intéresse, ce sont d'abord les lignes, très claires, les rythmes, très marqués, les contrastes, très abrupts. On a rarement autant souligné le néoclassicisme - ou le néobaroquisme - de l'écriture de Stravinsky. Mais il aurait dû se méfier : l'œuvre assume aussi l'héritage de Verdi, de Moussorgski, du grand opéra, avec sa luxuriance et ses fastes. A force de le refuser, le chef finit, même s'il en préserve la problématique unité, par décharner la partition, qui reste, au-delà du patchwork archétypal, un drame humain poignant - ce que restituait un Ancerl, pourtant peu suspect de complaisance envers le romantisme larmoyant. La seconde partie, cependant, passe beaucoup mieux : la direction sort de sa réserve hautaine, se libère, progressant vers un dénouement-course à l'abîme.

Si Gardiner peut séduire par sa singularité, les solistes ne peuvent rivaliser avec ceux des grandes versions. Distribuer un ténor chantant Samson et Siegmund est une erreur fatale : Stuart Skelton, malgré de bonnes intentions, peine et force dans le passage, où Œdipe se meut assez souvent. Jennifer Johnston joue le jeu du grand opéra plus que celui de l'oratorio classique, mais son chant assez brut n'échappe pas toujours à une certaine vulgarité, avec des graves outrageusement poitrinés qui déséquilibrent la tessiture. Quant à Gidon Saks, il manque de souplesse pour les grands intervalles de Créon, qu'il veut impressionnant et qu'il ne fait qu'approximatif. Autre erreur : confier à des choristes les autres rôles - trop en retrait, du coup.

Donné en bonus, Apollon musagète suscite aussi le scepticisme, parce que le chef se laisse prendre, une fois de plus, au piège du néoclassicisme stravinskien. On a beau admirer la splendeur des cordes londoniennes, on n'adhère pas vraiment à cette lecture translucide mais abstraite, distante, peu souriante, pas très sensible aux grâces des Muses, même si la direction se déride parfois, comme dans la Variation de Polymnie. Le dépouillement polyphonique de l'écriture a beau atteindre ici son apogée, Apollon reste un ballet. Ceux qui ont assisté au concert à Paris ne seront pas surpris : deux jours avant d'être repris et enregistré à Londres, le concert était donné salle Pleyel, où l'on fêta les soixante-dix printemps de sir John Eliot.

D.V.M.