CD Audite 95.626. Distr. DistrArt Musique.
Ferenc Fricsay, que la maladie allait emporter six mois plus tard, devait diriger à Lucerne ce concert du 15 août 1962 : Rafael Kubelík, hôte régulier du Festival, le remplaça - un autre éminent bartokien, même s'il n'était pas hongrois. Vision sombre, parfois oppressante ou violente, qui lorgne plus vers le Bartók à venir que vers l'impressionnisme de l'époque. Lorsque Judith ouvre les dernières portes, le climat s'obscurcit et s'alourdit, suscitant à la fin une peur sournoise. Les chanteurs sont à l'opposé : voix jeunes, claires, courtes dans le grave. Comme chez Fricsay en 1958, Dietrich Fischer-Dieskau n'a pas encore la tessiture de Barbe-Bleue, contraint de se fabriquer artificiellement - et habilement - une profondeur qui lui fait défaut. Ce Barbe-Bleue très patricien paraît d'ailleurs plus épris qu'inquiétant, moins autoritaire que brûlant de désir désespéré pour la Judith-enfant d'Irmgard Seefried, pour le coup à contre-emploi dans ce rôle exigeant une voix longue, très assurée à ses extrêmes - ce qu'elle n'était surtout pas à cette époque. Non seulement le grave, mais l'aigu se dérobe - un cri remplace le contre-ut au début de la quatrième porte. Nous entendons presque ici une Mélisande, dont l'innocence curieuse et apeurée a parfois tendance à minauder. Faute des moyens adéquats, Seefried ne parvient pas à renouveler le rôle.
D.V.M.