DVD Opus Arte 1143 D. Distr. DistrArt Musique.
C'est avec une version haute en couleurs que le premier chef-d'œuvre de Rameau fait son entrée au Festival de Glyndebourne comme au catalogue vidéo. L'affiche promet beaucoup ; le résultat laisse plus partagé. Notamment en ce qui concerne la mise en scène de Kent, qui se veut iconoclaste - surtout comparée aux dernières productions « à l'ancienne » vues à Paris, celle de Villégier en 1996 et celle d'Alexandre en 2012. L'action débute dans un gigantesque frigo, empire de la frigide Diane (déguisée en santon de gâteau des rois) que vient bousculer l'Amour (un poussin rouge). Si ce second degré ne convient pas mal au Prologue, il affaiblit incontestablement l'acte II, celui des Enfers : nous sommes désormais derrière le frigo, là où s'entasse la poussière et où croupissent les sujets de Pluton, mélanges de batraciens et de poissons d'argent tout droit venus de Hellboy - et l'on se croit alors chez Platée plutôt que dans Hippolyte et Aricie... Pour compenser la drôlerie anodine de ces passages, Kent transporte les actes I et V dans des univers très sombres (une chambre froide, une morgue), ce qui a davantage pour conséquence d'écraser les protagonistes que d'intensifier la tragédie. En définitive, seul l'acte III, qui joue d'effets plus éprouvés, convainc totalement : l'appartement bourgeois du couple Phèdre / Thésée vu en coupe (avec Hippolyte rongeant son frein dans sa chambre d'ado) y sert de cadre à un superbe affrontement entre beau-fils et marâtre, digne des meilleurs mélos hollywoodiens, et l'arrivée théâtrale de Thésée porte la tension à son comble. Ici seulement, la direction d'acteurs, classique mais fignolée, confère quelque chair aux personnages. Pour le reste, la scénographie - qui ne manque pas d'idées : on ne déflorera donc pas une image finale assez frappante - batifole avec trop de complaisance dans un univers fantastique peu propice à l'émotion. D'autant qu'elle n'est guère secondée par une chorégraphie à peu près inexistante !
La lecture instrumentale, fort vive, se contente souvent elle aussi d'une jolie « ligne claire », notamment dès qu'il s'agit d'évoquer les enfers ou les plus noirs tourments - Christie n'hésitant pas à recourir alors à ses sempiternels trémolos et sanglots de dessin animé. Un peu raide et scolaire en début de soirée (avec des récitatifs moins souples que dans la version discographique des Arts Florissants), l'Orchestre de l'Âge des Lumières libère peu à peu ses couleurs radieuses, de même que le chœur. Mais les solistes compensent par leur panache et leur présence scénique ce que le reste de la production peut avoir d'artificiel : on retrouve avec grand plaisir le couple Connolly / Degout qui fit récemment les beaux soirs de Garnier, impériaux tous deux en dépit d'une relative absence de graves - elle, superbement drapée de robes haute couture, réveillant, dans ses meilleurs moments, le souvenir de Janet Baker, lui tout simplement bouleversant dans un rôle qu'il a désormais marqué de sa personnalité, à la fois mâle et vulnérable. Magnifiques aussi, la Diane de Katherine Watson (la plus convaincante que nous ayons entendue depuis Jennifer Smith), l'Hippolyte ardent d'Ed Lyon et, dans un rôle hélas trop bref, le Suivant de l'Amour de Mathias Vidal ; satisfaisants, les trois divinités tenues par François Lis, la Grande-Prêtresse (et le Rossignol) d'Emmanuelle de Negri ainsi que le Mercure de Samuel Boden. Seule une Christiane Karg étranglée et une Ana Quintans chantant trop droit et haut déçoivent au sein de ce casting de luxe.
O.R.