Pristine Audio XR PACO101. Distr. Pristine Classical.
Le troisième opéra de Tchaïkovski, renié par son compositeur qui n'en aimait pas le sujet mais pensa pourtant à le remanier plusieurs fois sans jamais y parvenir, méritait-il un tel désaveu ? L'œuvre connut un vrai succès public qui irrita Tchaïkovski, et son efficacité dramatique saisit toujours autant. On considère un peu vite L'Opritchnik comme un opéra historique, ce vers quoi la pièce d'Ivan Lajetchnikov aurait dû l'incliner. Ce portrait sans fard du pouvoir autocratique du tsar Ivan le Terrible au travers du personnage diabolique du Prince Viazminski irrita la censure, mais le rôle passionna, malgré sa relative brièveté, les grandes basses russes. On remonta l'ouvrage deux fois pour Chaliapine. Mais Tchaïkovski fait glisser le sujet historique du général au particulier, en composant lui-même un véritable livret d'opéra romantique dont le modèle fut certainement Il trovatore de Verdi. On admire le lacis dramatique serré, l'élan sans frein où les ensembles et les ariosos s'enchaînent pour aboutir à de vastes concertatos. Il y a dans cette écriture d'une seule coulée une modernité théâtrale certaine que Tchaïkovski ne retrouvera pleinement qu'avec La Dame de pique.
Les forces de la radio de Moscou, sous la baguette implacable d'Alexandre Orlov qui n'hésite pas à recourir à des coupures qu'une production scénique aurait interdites, furent les premières à redonner vie à cette partition malheureuse, et avec quel sens dramatique ! On admire autant la verve de l'orchestre et des chœurs qu'une distribution parfaite - Natalya Rojdestvenskaya, la mère de Guennadi, donne une intensité clouante à Natalia, le grand mezzo de Lyudmilla Legostayeva dépeint avec art les tourments de Morozova, les trois clefs de fa sont renversantes de présence et de puissance de caractérisation. Pourtant c'est à Andrei et à Basmanov qu'échoient les deux plus remarquables interprètes de cet enregistrement historique. Andrei restera probablement le plus formidable emploi qu'ait trouvé le grand ténor cuivré de Boris Tarkhov ; quand à Basmanov, l'ami sulfureux qui l'entraîne chez les Opritchniks - significativement, Tchaïkovski le confie à un travesti -, on y découvre Zara Doloukhanova, trente ans seulement alors mais qui traînait ses guêtres depuis dix années déjà sur les scènes lyriques d'Erevan et de Moscou, en pleine possession de son grand mezzo ambré. Rien que pour elle, on doit de toute façon thésauriser cette gravure, d'autant que celles de Provatorov - malgré la belle Natalia de Tamara Milashkina -, puis de Rojdestvenski à Cagliari, plus fidèles à la lettre, plus complètes, ne retrouvent pas la fièvre qui emporte cette version princeps, de surcroît fort bien enregistrée pour l'époque et admirablement restituée par Pristine.
J.-C.H.