Gregory Kunde (Otello), Carmela Remigio (Desdemona), Lucio Gallo (Iago), Elisabetta Martorana (Emilia), Francesco Marsiglia (Cassio), Antonello Ceron (Roderigo), Mattia Denti (Lodovico). Orch. et Chœur du Teatro La Fenice, dir. Myung-Whun Chung, mise en scène : Francesco Micheli (Palazzo Ducale de Venise, 10.VII.2013).
DVD Unitel / Cmajor 716508. Distr. Harmonia Mundi.

L'Otello de Verdi se passe tout entier à Chypre. Il n'empêche : le Palais des Doges, avec sa cour intérieure mi-gothique mi-Renaissance, ses balcons et son escalier des Géants, constitue certes un décor « naturel » bien assorti à la tragédie du Maure de Venise. L'évidence s'imposerait si les limites acoustiques et logistiques de cet espace ne s'avouaient dès le premier Chœur. La tempête a beau être le déclencheur des vidéos projetées sur le Palais au long de la soirée, elle dévoile aussi les décalages et déperditions sonores que le dispositif - un immense plateau ouvert avec orchestre latéral - entraîne. La scénographie d'Edoardo Sanchi et Silvia Aymonino est pourtant soignée : le choix de l'époque « protectorat britannique » flatte les costumes militaires et les tissus orientaux joliment assortis, et les passerelles de circulation sont un clin d'œil à l'acqua alta vénitienne. Quant aux lumières de Fabio Barettin, elles reconfigurent judicieusement l'espace selon les scènes. Reste que Francesco Micheli joue ainsi la carte du décoratif - et, de fait, quel décor ! - voire du spectaculaire, tentant les atmosphères par le biais des éclairages et des mimes (leurs reptations sournoises figurant le poison qui dévore l'âme d'Otello comme celle de Iago) plutôt que par la direction d'acteurs, conventionnelle.

Il faut dire aussi que le plateau vocal n'est pas à la hauteur de l'enjeu. Gregory Kunde est ici bien étroit de timbre et relâché de vibrato (son « Un bacio » trémule dangereusement) pour pouvoir donner corps et voix au Maure et à sa folie meurtrière. Carmela Remigio n'a pas la plénitude rêvée pour une Desdemona, et se trouve réduite à l'état de jolie voix fine et charmante, que la captation audio certes améliore mais qui n'emplit pas, elle non plus, tout l'habit de son personnage. Quant à Lucio Gallo, la profondeur lui manque pour creuser les abîmes de son Iago - et la peur de l'auditeur -, comme le mordant des aigus, ici trop éteints. On ne redira jamais assez à quel point le plein air sans mur (ou toit) acoustique érode les timbres et les projections - et ce, même avec amplification : tous en sont aussi victimes ici. Muyng-Whun Chung dirige par cœur mais avec une sagesse de ton et de ligne qui privilégie la sécurité des chanteurs sur le souffle d'Otello. Limites et contraintes de ce qui s'avère, au final, une fausse bonne idée.

C.C.