Opéras de Smetana et Fibich.
CD Beno Blachut Society, distr. Beno Blachut Society.
Cinq opéras pour un ténor : Dalibor, Le Secret et Le Mur du diable de Smetana, La Tempête et Šárka de Fibich. Beno Blachut fut sans doute le plus grand ténor tchèque de l'après-guerre, avant Ivo Žídek qui lui succéda et qu'on connaissait mieux. Sans doute la carrière de cette étoile de l'Opéra de Prague aurait-elle davantage rayonné internationalement si les nazis puis les communistes ne lui avaient pas interdit de se produire hors de son pays. Timbre à la fois de velours et de bronze, émission ductile, passage jamais éprouvé, aigus faciles, souffle maîtrisé et phrasé patricien, Blachut pouvait passer des emplois de jeune premier (Vit du Secret, Jarek du Mur du diable, Fernando de La Tempête) aux rôles plus vaillants (Dalibor ou Ctirad de Šárka) - en dehors du répertoire tchèque, il allait de Faust à Radamès, de Belmonte à Stolzing. à la fin de sa carrière, il se rabattit, comme beaucoup, sur les emplois de caractère. Ces enregistrements des années 1945-1950, que nous rend la Société qui porte son nom, le montrent à son apogée, entouré de la fine fleur de cette génération née au tournant du siècle ou dans les années 1910 - lui-même naquit en 1913. Chaque fois, une équipe, un esprit, avec des rôles secondaires très typés, hauts en couleur. On ne saurait trop remercier la Société, même si le son peut saturer, de nous rendre ces témoignages majeurs en albums de deux CD, aussi précieux que ceux des années 1950 signés Zdeněk Chalabala ou Jaroslav Krombholc.
Krombholc, justement, dirige ici un Secret où il concilie veine populaire, drame sentimental et dimension fantastique. Fils du superbe Kalina de Zdeněk Otava, le baryton tchèque du moment, timbre clair et mordant, à l'aigu altier, le Vit juvénile de Blachut soupire pour la jolie et charnue Blaženka de Marie Budíková, neveu de l'impressionnante Mademoiselle Rosa de la fameuse mezzo Marta Krásová, vengeresse ou attendrie (1945, SBB 008-10-02). On aime un peu moins Le Mur du Diable : Otakar Jeremiáš, un rien laborieux, n'est pas Krombholc et Stanislav Muž incarne un Vok fatigué, à l'aigu problématique. Dommage : on retrouve, appariée à Blachut, Budíková en Katuška, le Diable noir de Vladimir Jedenáctík, l'impayable Michálek de Karel Hruška, irrésistible ténor de caractère (1945, SBB 009-12-02). On regagne les sommets avec Dalibor, conduit de main de maître par Krombholc, où Blachut est d'une noblesse, d'une tenue, d'une aisance souveraines, dans la tendresse ou la vaillance - on a d'ailleurs, de la même année, un autre Dalibor porté par eux. Milada héroïque de Zdenka Hrnčířová, Jitka intrépide de Štěpánka Jelínková, Beneš aux graves abyssaux d'Eduard Haken : c'est tout dire (1946, SBB 011-13-02).
Les deux opéras de Fibich constitueront peut-être pour certains une révélation : des chefs-d'œuvre d'un maître de l'orchestre, plus connu grâce à ses œuvres symphoniques. Dans la Tempête shakespearienne, Jaroslav Vogel, poétique ou volcanique, apaise ou déchaîne les éléments, à l'unisson du Prospero altier d'Otava ou de l'Ariel pétillant de Maria Tauberová. Blachut et Ludmila Červinková forment un couple de charme, menacé par l'inimitable Caliban de Jedenáctík (1950, SBB 010-12-02). Puissant, théâtral et coloré, Jiří Pinkas dirige un Šárka grandiose, où le Ctirad de Blachut retrouve les accents de son Dalibor, aux côtés d'une Marie Podvalová impressionnante en amazone touchée par l'amour, grand soprano dramatique avec parfois des accents à la Christel Goltz pour un rôle redoutable entre tous. Marta Krásová en impose sous les traits de la farouche Vlasta, tenant tête au majestueux Přemysl de Václav Bednář (1950, SBB 006-09-02).
Proposés en complément du Secret, les Chants du soir de Smetana sont aussi à marquer d'une pierre blanche (1952) : Blachut excellait dans la mélodie, par son art de la caractérisation et son sens des mots. Faut-il rappeler que son Journal d'un disparu de Janácek constitue un absolu de la discographie ?
D.V.M.