DVD / Blu-ray Nonesuch 7559-79608-8. Distr. Warner.
Près de vingt-cinq ans après la création de l'ouvrage à Houston en 1987, la production originelle de Nixon in China mise en scène par Peter Sellars est enfin visible en DVD, dans sa version remontée au Metropolitan Opera en 2011. Lisible, mêlant un niveau d'illustration minimaliste (sobres décors d'Adrianne Lobel) à une direction d'acteurs très fouillée et expressive, elle fait encore mouche, comme en témoigne la réactivité des spectateurs, fort audible dans la captation : outre l'apparition de Nixon en haut de la passerelle de son avion - applaudie comme le Met sait le faire de tous les tableaux qu'on lui offre en lever de rideau -, il faut entendre les rires fusant ici ou là, qui disent combien le sujet est vivace au cœur du public américain.
La direction musicale est ici confiée au compositeur lui-même et, dès les premières mesures, Adams surprend par son choix d'une grande lenteur méditative devenant peu à peu tension sourde - on entendrait presque les nappes d'un Badalamenti destinées à accompagner quelque plan mystérieusement flippant de Lynch. L'orchestre du Met et son chœur sont évidemment des moyens sonores hors pairs pour donner corps aux scènes les plus flamboyantes : le « Gam bei » trouve ici un volume déferlant, même si par ailleurs la précision des rythmes adamsiens et leur horlogerie déréglée échappent parfois aux choristes (« The people are the heroes now » manque cruellement de ciselure).
C'est hélas très tard pour le Nixon de James Maddalena, créateur du rôle - gravé heureusement à l'audio dès 1988 dans la version dirigée par Edo De Waart, chez Nonesuch également. La voix ne maîtrise plus des aigus au bord de la rupture, un timbre qui s'y élime et un vibrato qui s'y distend, affectant considérablement le portrait vocal du président américain. Reste une incarnation nourrie d'un quart de siècle de fréquentation du personnage, où chaque fibre du corps et du visage se fond dans le cours de la musique et dans les mots d'un livret pourtant souvent allusif voire obscur. Les souvenirs qui affluent et débordent, lors de la dernière nuit à Pékin (acte III), laissent transparaître l'homme derrière le politicien avec une finesse de trait saisissante. Le couple formé avec la Pat de Janis Kelly est d'ailleurs très réussi : particulièrement crédible physiquement, la soprano délivre d'un chant clair et franc le portrait d'une épouse dévouée à son rôle de first lady, mais masquant derrière lui toutes les fêlures de l'intime. Tous les autres personnages sont d'ailleurs représentés avec le même succès, du Mao menaçant et imprévisible de Robert Brubaker à un Kissinger très physique de Richard Paul Fink, d'une Chiang Ch'ing aux aigus et à la véhémence cisaillants à un Chou-En-lai impénétrable, d'une égalité de tenue confinant au mystère - remarquable Russel Braun.
Une référence de la vidéographie, évidemment, même si l'édition - qui sait, un jour - de la captation originelle, en son temps télévisée, permettrait d'apprécier un Maddalena sans accroc et la production de Sellars dans sa prime jeunesse...
C.C.