CD Naxos 8.660354. Notice en anglais. Livret (en anglais uniquement) téléchargeable sur naxos.com. Distr. Abeille Musique.
Faire d'un fait divers - la disparition mystérieuse, en 1900, de trois gardiens de phare en service sur l'une des îles écossaises de Flannan - qui, certes, en son temps marqua les esprits, un livret d'opéra fonctionnel, relève déjà en soi de la prouesse. En adjoignant à ce livret une musique capable d'en sublimer le potentiel scénique, Peter Maxwell Davies montrait en 1979 qu'un compositeur peut parfois aussi être un bon dramaturge. L'imaginaire marin de cet opéra de chambre rappelle inévitablement celui de Britten. Atonale bien que polarisée, acérée par une orchestration nette et brillante, peu soucieuse de fusion impressionniste, la musique évoquera, quant à elle, au moins autant que celle de l'aîné d'Aldeburgh, celle du Birtwistle récent. L'écriture vocale conserve quelques accents expressionnistes mais, adoucie depuis l'opéra Taverner (1970), adopte un lyrisme fluide et généreux.
En salle d'audience à Edimbourg, les récits des trois Officiers de relève qui ont constaté la disparition ne dissipent aucunement le mystère qui entoure l'affaire. Le suspense croissant de cette première partie aux airs de conte fantastique tourne dans la seconde partie au psychodrame. L'ambiance claustrophobique à laquelle contribue l'absence de voix féminines et de chœur constitue l'un des atouts majeurs de l'opéra, et on pourra ne pas être entièrement convaincu de la nécessité des trois songs confiés aux protagonistes. L'idée est en soi excellente, notamment parce qu'elle permet aux trois chanteurs de se faire entendre dans un registre plus détendu. Elle trouve pourtant son facteur limitant dans un manque de stylisation qui fait paradoxalement sonner la chanson avec banjo, castagnettes et violon de Blaze comme un moment artificiel, le choral d'Arthur, appuyé par le tambourin et les cuivres, peu adopté à sa harangue sur le Veau d'or, et la romance de Sandy, bien qu'encanaillée par le piano bastringue et le violoncelle, un peu sucrée. Dans les trois cas, le savoureux clash entre la tonalité de ces interpolations et leur environnement atonal n'a pas l'impact que l'on en attendrait.
Les trois voix sont individuellement excellentes (Christopher Keyte pour sa tonicité entraînante, Neil Mackie en parfait représentant de cette couleur et cette souplesse inimitables de ténor typiquement britannique, Ian Comboy pour la largeur et la puissance de projection de sa basse). L'ensemble instrumental, très précisément guidé par le compositeur, est aussi convaincant pour sa clarté que pour sa propension à développer la puissance d'un orchestre bien plus fourni, qualité cruciale dans le tempétueux climax qui précède l'accalmie finale. La modernité de cet opéra qui, en plus de trois décennies, n'a quasiment pas pris une ride, n'est certes pas tapageuse. Elle est néanmoins patente, et n'aura de toute évidence pas échappé aux générations ultérieures, Thomas Adès en tête.
P.R.