CD DHM. Notice et livret en français. Distr. Sony.
Cecilia Bartoli n'a pas été la première à tenter de réhabiliter les opéras sérias de Gluck et, particulièrement, La clemenza di Tito (dont elle a gravé trois airs pour Decca) : dès 1988, Jean-Claude Malgoire l'exhumait à Tourcoing et Louis Langrée tentait à nouveau l'aventure en 1996 au Théâtre des Champs-Elysées. Dans ces deux circonstances, on tailla dans la partition - cela se comprend un peu : ici restituée, elle dure près de quatre heures ! Le livret de Métastase, créé à Vienne en 1734 sur une musique de Caldara, connaissait sous la plume de Gluck sa dix-huitième mouture (vingt-cinq autres suivraient, dont celle de Mozart, la plus célèbre, en 1791).
Celle-ci fut écrite pour le San Carlo de Naples en 1752 et, notamment, pour l'immense Caffarelli (Sesto), alors en fin de carrière puisqu'ayant dépassé la quarantaine. Comme dans la plupart de ses ouvrages écrits pour l'Italie, Gluck respecte l'essentiel du texte de Métastase, ne supprimant que quelques récits et deux airs pour Servilia. Mais il ne se prive pas d'emprunter à ses titres précédents (notamment à la première version d'Ezio, elle aussi désormais disponible en CD) et, par la suite, il aura souvent recours à cette Clemenza pour ses tragédies lyriques françaises - l'emprunt le mieux connu étant celui de l'aria « Se mai senti » (Sesto, II/7) devenu le « Oh malheureuse Iphigénie ! » d'Iphigénie en Tauride. Tout cela pour dire que, si nous découvrons l'ouvrage intégral, une proportion non négligeable de sa musique nous est connue, autorisant les comparaisons. Gardons-nous pourtant de mesurer cette Clémence à celle de Mozart : avec la complicité de son librettiste Mazzola, celui-ci remania profondément la pièce originale, retranchant la moitié de l'acte II et les deux tiers des airs mais insérant moult ensembles, dont la totale absence, dans la version d'origine, frustrera un peu les auditeurs contemporains. D'autant que la musique de Gluck, tantôt sauvagement expressive, tantôt séduisante, mais rarement les deux à la fois, ne plane pas toujours sur les sommets, notamment à l'acte I.
A cette découverte, on ne hurlera donc pas au chef-d'œuvre, mais on remerciera Ehrhardt de l'avoir rendue possible, après celle du Medonte de Myslivecek et de La finta giardiniera d'Anfossi (récemment parus chez le même éditeur). Même si, à nouveau, il nous faut déplorer ici une interprétation vive et allègre mais ripolinée, toujours trop « jolie », peu tentée par les vertiges du drame, manquant de noirceur comme d'intensité, à l'exception de quelques pages bien senties (l'accompagnato ouvrant l'acte II ou l'air « Come potesti, oh Dio ! » de Vitellia). Dans ce rôle antipathique, c'est d'ailleurs Laura Aikin qui, avec sa voix tranchante, s'avère le mieux distribuée, tandis que le sopraniste Valer Sabadus réussit un Annio sensible, sensuel, pétri d'émotion. Les autres interprètes sont plus quelconques : Tito efficace mais sans grand charisme, Servilia à la voix trop lourde, Publio terriblement criard et, en Sesto, une soprano engagée mais s'égosillant aux extrêmes. Est-il cependant encore possible aujourd'hui de réussir ce type d'ouvrages dont les exigences vocales semblent disproportionnées par rapport à leur efficacité dramatique ?
O.R.