Nikola Hillebrand (Agathe), Mauro Peter (Max), Katharina Ruckgaber (Ännchen), Christof Fischesser (Kaspar), Liviu Holender (Ottokar), Franz Hawlata (Kuno), Andreas Wolf (Un ermite), Maximilian Krummen (Kilian), Moritz von Treuenfels (Samiel). Chœur philharmonique de Prague, Chœur du Festival de Bregenz et Orchestre symphonique de Vienne, dir. Enquire Mazzola, mise en scène : Philipp Stölzl (17 et19 juillet 2024).
C major 768308. 1 DVD. 2h08. Notes, synopsis et sous-titres en anglais et en allemand. Bonus : « A Winter’s Tale : Inside Der Freischütz at Bregenzer Festspiele » (25 minutes).
Cinq ans après un Rigoletto (2019, reprise en 2021) qui avait laissé un souvenir globalement positif, Philipp Stölzl retrouve la gigantesque scène lacustre de Bregenz pour ce qu’il faut bien appeler un somptueux ratage. Car si la scénographie représente avec un luxe de moyens absolument exceptionnels un village dévasté par les horreurs de la guerre de Trente Ans, la mise en scène et les très nombreuses modifications apportées à l’œuvre la rendent quasi méconnaissable. Avant même que ne commence l’ouverture, Stölzl crée en effet une atmosphère digne d’un film d’horreur avec un prologue qui montre l’enterrement d’Agathe et la pendaison de Max. Ce préambule est accompagné de croassements sinistres et par le soutien musical d’un trio formé d’un accordéon, d’un clavecin et d’une contrebasse. Narrateur présent tout au long de l’opéra, Samiel commente l’action et nous invite à reculer dans le temps afin de modifier un dénouement aussi macabre. Ce choix de faire intervenir constamment ce deus ex machina s’avère vite exaspérant, car ses longues interventions intempestives interrompent à tout bout de champ le déroulement de l’action et se substituent de façon malhabile aux dialogues habituels. Les personnages en sont réduits à ne dire que quelques mots, qui n’ont en général aucun rapport avec le livret de Friedrich Kind. Devant un tel détournement de sens, il faut donc éviter de se poser trop de questions et se contenter d’admirer le splendide village formé de petites maisons de guingois ou carrément enfoncées dans la terre, le chariot infernal tiré par un squelette de cheval et le dragon qui sort de l’eau dans le tableau de la Gorge aux Loups. On trouvera aussi très joli le ballet aquatique à la Esther Williams qui se déroule pendant l’ariette d’Ännchen (« Kommt ein schlanker Bursch gegangen »), mais quelle en est sa justification dramatique ? Et enfin, pourquoi l’action se déroule-t-elle si souvent dans l’eau, espace de jeu sans doute bien peu agréable pour les pauvres chanteurs…
Outre cette relecture scénique pour le moins discutable, ce nouveau Freischütz souffre de coupures aussi scandaleuses qu’injustifiables. Comment a-t-on pu amputer l’ouverture de son finale exaltant, priver Agathe de la deuxième moitié de son grand air (« Und ob die Wolke ») et supprimer la romance d’Ännchen (« Einst träumte meiner sel’gen Base ») ? Et il ne s’agit là que des coupes les plus sombres dans la partition… C’est d’autant plus dommage que la direction inspirée d’Enrique Mazzola est pleine de fougue et fait entendre un remarquable soin apporté aux contrastes. On souhaite le retrouver dans une vraie intégrale, tout comme le formidable couple vedette de Nikola Hillebrand et Mauro Peter. La première possède l’étoffe d’une grande Agathe grâce à sa voix souple au timbre pur et au legato bien contrôlé, tandis que le second est un superbe Max qui joint la puissance à un raffinement mozartien digne des plus grands éloges. Le Kaspar de Christof Fischesser se distingue également par ses graves abyssaux et son interprétation particulièrement convaincante. Katharina Ruckgaber chante avec goût le rôle d’Ännchen, mais son timbre manque un peu de grâce juvénile. Le reste de la distribution ne se hisse guère au-dessus d’un niveau très moyen, à l’instar du chœur, peu discipliné et à l’homogénéité déficiente. Voilà en somme une version frustrante qui constitue tout au plus une curiosité en plus de fournir des arguments aux contempteurs de certaines mises en scène contemporaines.
L.B.