La grande Lilli Lehmann, soprano dramatique de l'âge d'or wagnérien, affirmait préférer chanter trois Walkyries d'affilée qu’une seule Norma, résumant ainsi la difficulté de ce rôle mythique dont la vocalité avait, dit-on, d’abord effrayé la créatrice du rôle, la fameuse Giuditta Pasta. Il y faut, il est vrai, la puissance dramatique pour les imprécations de la femme bafouée, l’autorité de la grande prêtresse, la douceur pathétique de la mère aux abois du deuxième acte, à quoi on ajoutera une technique belcantiste irréprochable pour assurer l’arc tendu de la cantilène bellinienne et les aspects purement virtuoses du rôle. Anna Princeva possède de nombreux atouts pour affronter cet Everest de la tragédie lyrique. La tessiture lui convient à merveille, n’était un petit déficit dans le grave qui l’oblige à grossir les sons, ce qui n’est pas toujours du plus bel effet. Elle paraît toutefois assez tendue à son entrée dans cette version de concert, la première d'une série de trois et une prise de rôle, si l'on en croit sa biographie. Après un récitatif plein d'aplomb, son « Casta Diva » manque un peu d’assurance et laisse entendre une certaine instabilité. Elle se rattrape dans la cabalette qu’elle conclut sur une descente chromatique parfaitement maîtrisée. Le trio la montre un rien trop excessive et il faudra attendre le deuxième acte, son grand récitatif et l'arioso autour des enfants, le duo avec Pollione et la grande scène finale d'ensemble pour qu’elle donne la sensation d’être tout à fait entrée dans le rôle. Dans les duos avec Adalgisa, Josy Santos n’est pas loin de lui ravir la vedette, faisant preuve de beaucoup d'aisance, avec son joli timbre qui contraste bien avec celui plus sombre de la soprano. En revanche, son incarnation reste superficielle, et elle minaude trop dans son premier duo avec Pollione. Voix bien assise au centre, aigus claironnants, le ténor Kyungho Kim est un Pollione solide, sinon très varié, et qui donne le meilleur de lui-même et de ses capacités expressives dans l'ultime duo avec Norma. Dans sa première scène, le jeune Hugo Kampschreur, voix large et excellente articulation, lui donne une réplique très prometteuse. Le profil vocal d'Ante Jerkunica, à l'affiche des distributions de l’OBV depuis une dizaine d’années, est plutôt celui d’un baryton-basse que d’une basse noble, ce qui donne à son Oroveso autorité et tranchant mais lui enlève un peu de chaleur et de profondeur.

À la tête de l'orchestre symphonique de l'Opera Ballet Vlaanderen et des chœurs comme toujours parfaitement préparés, Alejo Pérez, dirige une version absolument complète de l'opéra de Bellini où figurent toutes les reprises mais dont aucune ne fait l'objet de variations. Sa battue précise et sans rubato tire cette Norma du côté du second Romantisme, plus près du jeune Verdi que du néo-classicisme dont elle est imprégnée, héritière de Spontini autant que du Rossini de Sémiramis. Pour cette version de concert, le chef a eu l'idée de substituer à l'air avec chœur d'Oreveso du deuxième acte, « Ah del Tebro »,  un air de remplacement, « Norma il predisse », composé par Wagner en1839, qui nous a semblé plutôt mal écrit pour la voix. D'une banalité grandiloquente avec sa cabalette martiale, il évoque le Meyerbeer italien plutôt que l'ample style du compositeur italien auquel il est censé rendre hommage. Il ne déparerait pas Rienzi dont il est contemporain mais fait un peu tache dans le chef-d'œuvre de Bellini.


A.C.

Notre édition de Norma de Bellini/L'Avant-Scène Opéra n° 236