Angela Vallone (Livia), Bianca Tognocchi (Madama Brillante), Theo Lebow (Sumers), Iurii Samoilov (Milord Arespingh), Gordon Bintner (Don Polidoro). Orchestre de l’Opéra de Francfort, dir. Leo Hussain, mise en scène : R. B. Schlather (30 octobre et 5 novembre 2021).
Naxos 2.110739. 2h37. Notes, synopsis et sous-titres anglais et allemands. Distr. Outhere.
Premier succès international de Cimarosa, l’intermezzo en deux actes L’Italiana in Londra fut créé au Teatro Valle de Rome le 28 décembre 1778, soit 14 ans avant Le Mariage secret. Le pape Pie VI ayant interdit – contrairement à son prédécesseur Clément XIV – la présence d’actrices dans les théâtres des États pontificaux, les deux rôles féminins furent confiés à des castrats. C’est ainsi que le très jeune Girolamo Crescentini, qui n’avait pas encore fêté ses 17 ans, interpréta le personnage de Livia, l’Italienne du titre. Très populaire jusqu’au début du XIXe siècle, l’ouvrage connut notamment un beau succès à Paris, où il fut représenté au théâtre Montansier à partir de 1790 dans une adaptation de Pigeon de Saint-Paterne. Ressuscité à Genève en 1929, il donna lieu à un premier enregistrement dirigé par Carlo Rizzi, à Savone en 1986 (Bongiovanni).
L’intrigue se déroule dans l’auberge de Madama Brillante, qui accueille le commerçant hollandais Sumers, l’Italien Don Polidoro et Livia. Cette dernière est à la recherche de son fiancé, Milord Arespingh, qui l’a mystérieusement abandonnée deux ans auparavant. On apprend en cours de route que le jeune homme s’était en fait conformé aux ordres de son père, qui l’avait enjoint de partir pour la Jamaïque et qui veut maintenant lui imposer un mariage avec une certaine Milady Lindane. Comme on peut bien s’en douter, l’amour finit par réunir les amants trop longtemps séparés, tandis que l’exubérant Polidoro se console avec l’hôtelière de sa déconvenue auprès de la belle Livia. Pour ajouter du piquant à une action on ne peut plus prévisible, le librettiste Giuseppe Petrosellini s’inspire du Décaméron de Boccace, dans lequel la pierre nommée héliotrope est censée rendre invisible celui qui la possède.
Sans atteindre bien sûr au génie de Mozart ou de Rossini, Cimarosa a composé une partition qui annonce les grands chefs-d’œuvre du répertoire comique. Outre une ouverture d’une alacrité contagieuse, l’œuvre comprend notamment deux finales aux dimensions impressionnantes. Avec ses dix-huit minutes et ses nombreux changements d’atmosphères, celui du premier acte fait irrésistiblement penser au finale du deuxième acte des Noces de Figaro. Il comprend en outre des accélérations de rythme et des crescendos qui laissent présager l’écriture rossinienne. Si la tonalité légère domine comme il se doit, l’émotion est néanmoins bien présente, en particulier dans l’air d’entrée de Livia (« Straniera abbandonata ») et sa grande scène dramatique « Dunque per un infido la libertà perdei ? » À la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Francfort, Leo Hussain confère non seulement toute la vitalité nécessaire à cette musique le plus souvent enjouée, mais prend un plaisir manifeste au pianoforte, dans des récitatifs souvent virevoltants.
Pour cette pièce à cinq personnages, R.B. Schlather a fait le choix de confiner l’action à l’avant-scène. Évoquant un gigantesque abat-jour, un immense cylindre rotatif occupe la majeure partie de l’espace. Un comptoir avec des bouteilles (côté jardin), quelques fauteuils et une cabine téléphonique (côté cour) constituent à peu près les seuls éléments de décor. Dans cet espace dépouillé, le metteur en scène ne réussit qu’à moitié à traduire visuellement une action qui traîne parfois un peu trop. En plus d’interrompre à de trop nombreuses reprises le cours de l’intrigue par de longues pauses intempestives, il a tendance à forcer le trait, surtout en ce qui concerne le personnage de Polidoro. Celui-ci est sans doute un séducteur impénitent, mais est-ce une raison pour le faire se déhancher à outrance et adopter une gestuelle carrément grotesque ? On aimerait plus de finesse dans l’expression du désir et dans les différentes interactions entre les personnages.
Faisant preuve d’une complicité sans faille, les cinq membres de la troupe de l’Opéra de Francfort défendent avec conviction leurs rôles respectifs et s’amusent ferme. D’un caractère bien trempé, la Livia d’Angela Vallone et la Madame Brillante de Bianca Tognocchi possèdent d’indéniables qualités vocales, mais éprouvent quelques difficultés dans l’aigu, tout comme le Sumers du ténor Theo Lebow. De ces cinq jeunes chanteurs, ce sont à vrai dire les deux barytons qui se distinguent nettement. L’Ukrainien Iurii Samoilov campe un Milord Arespingh touchant et à la grande séduction vocale, tandis que le timbre d’airain du Canadien Gordon Bintner fait merveille en Polidoro. Pour ce premier DVD d’un ouvrage trop longtemps tombé dans l’oubli, le résultat est en définitive globalement appréciable.
L.B.