Joshua Guerrero (Leutnant F.B. Pinkerton), Ya-Chung Huang (Goro), Hongni Wu (Suzuki), Lauri Vasar (Sharpless), Asmik Grigorian (Cio-Cio San), Romanas Kudriašovas (Le commissaire impérial), Jeremy White (Le bonze), Josef Jeongmeen Ahn (Le Prince Yamadori), Veena Akama-Makia (Kate Pinkerton) ; Chœur et orchestre du Royal Opera House, Covent Garden, dir. Kevin John Edusei. Mise en scène : Patrice Caurier et Moshé Leiser (Londres, 19, 23 et 26 Mars 2024).

DVD Opus Arte. OA1391D. Synopsis en anglais. Distr. DistrArt Musique.

La production de Patrice Caurier et Moshé Leiser, créée en 2003 à Covent Garden, avait déjà fait l'objet d'une captation en 2017 avec Ermonela Jaho en Cio-Cio San. Cette nouvelle version est d'évidence due à la présence cette fois d'Asmik Gregorian dans le rôle-titre. La soprano lettone dont le physique paraît plus adapté à la grande dame « occidentalisée » du deuxième acte qu'à la petite mousmé du premier, en délivre pourtant une interprétation de très grande classe, se coulant dans le personnage avec toute la finesse possible, et une voix de grand lyrique proprement magnifique, large mais remarquablement conduite et capable de toutes les nuances dynamiques, avec des aigus piano sublimes. Sa prestation exceptionnelle lui vaut au final une chaleureuse standing ovation. Elle est bien servie par une direction d'acteurs qui est le principal atout de cette version, remarquablement filmée par Bridget Caldwell, où chaque geste, chaque expression fait sens. Dans cette vision sobre dont la scénographie se réduit à un grand espace vide fermé de claustras évoquant la maison de papier nippone et s'ouvrant tour à tour sur une superbe vue de la baie de Nagasaki, un paysage rêvé pour le grand duo du premier acte, un jardin stylisé pour le duo des fleurs, les metteurs en scène ont scrupuleusement respecté l'époque même du livret et transcrit l'action dans un japonisme stylisé du plus bel effet. En Pinkerton, Joshua Guerrero, sans être le plus ensoleillé ni le plus raffiné des ténors (ce que le public lui fait sentir aux saluts) crée un personnage dont il assume toutes les ambivalences. Plus « américain » que nature dans les premières scènes, il se montre ensuite sincèrement pris par sa fascination, sinon son amour, pour l'héroïne et donne ainsi beaucoup de crédibilité à son rôle, tout particulièrement à ses remords du dernier acte.

Autour de ce couple remarquablement contrasté, la distribution réunit d'excellents seconds rôles parmi lesquels de nombreux chanteurs asiatiques renforcent la crédibilité de l'action. La Suzuki au mezzo clair de Hogni Wu mais aux graves  bien timbrés contraste agréablement avec le soprano du rôle-titre dans le duo des fleurs et impose partout ailleurs une présence forte, élégante et discrète. Le Sharpless aristocratique de Lauri Vasar et une galerie de silhouettes bien croquées tels le Goro de Ya-Chung Huang, le Prince Yamadori de Josef Jeongmeen Ahn ou l'oncle Bonze de Jeremy White, forment une équipe très cohérente.

Dans la fosse, le chef allemand Kevin John Edusei attaque le prélude à la hussarde mais sa direction se calme rapidement et ménage un bel équilibre entre les voix, le  mouvement d'ensemble et les détails orchestraux, délivrant notamment un magnifique interlude symphonique entre les deux derniers actes, à la tête d'un orchestre exemplaire. Sans constituer une référence absolue, cette version renouvelle entièrement une production dont la première captation ne nous avait guère convaincu, et mérite incontestablement une place de choix dans la vidéographie abondante de l'opéra de Puccini.


A.C.

Notre édition de Madama Butterfly/L'Avant-Scène Opéra n° 56