Thomas Mohr (Manru), Romelia Lichtenstein (Ulana), Gabriella Guilfoil (Hedwig), Levent Bakirci (Urok), Ki-Hyun Park (Oros), Franziska Krötenheerdt (Asa), Andrew Nolen (Jagu), Christina Mattaj, Kaori Sekigawa (Villageoises), Sebastian Byzdra, Kathrin Harold (Voix de la montagne), Theodor Toschev (violon), Enikö Ginzery (cymbalum). Chœur de l’Opéra de Halle, Staatskapelle de Halle, dir. Michael Wendeberg (Opéra de Halle, 17-19mars 2022).
CPO. 2 CD.Présentation bilingue (all., angl.). Distr. DistrArt Musique.
La discographie de Manru s’étoffe avec cette production de l’Opéra de Halle, que Nancy reprit un an plus tard. C’est la version allemande de l’œuvre, mais pas tout à fait celle de la création à Dresde le 29 mai 1901, ne serait-ce qu’à cause de la fin. On n’a pas, en effet, retenu le dénouement originel, très vite abandonné, où Manru mourait sous les coups d’Oros, auquel il ravit à la fois son statut de chef des tziganes et la belle Asa. S’entend ici la version définitive, qui fait du nabot Urok, épris d’Ulana, que Manru délaisse, le meurtrier du protagoniste. À la Semperoper, l’œuvre valut un triomphe au virtuose polonais – certes devant un public acquis d’avance, étant parfois venu du monde entier pour applaudir son idole. Dans ce drame de l’exclusion et de la marginalité, plus que de la jalousie, Paderewski fait un peu la synthèse de l’opéra de son temps, entre Bizet et Wagner en passant par les Italiens et l’opéra polonais, assumant tout à fait ce que ses détracteurs appelaient éclectisme – les uns lui reprochaient de plagier Carmen, les autres le drame wagnérien avec ses leitmotive.
Familier des rôles de Heldentenor, Thomas Mohr a la voix de Manru, héritier des emplois wagnériens comme tant de rôles du siècle finissant, solide et nuancé, dans le chant comme dans la composition, qui ne force pas sa quinte aiguë. Mais Romelia Lichtenstein paraît bien mûre pour la jeune Ulana, disqualifiée surtout par une justesse en berne dès qu’elle atteint le haut médium. Assez proche d’Alberich par la tessiture – assassine – et l’accompagnement harmonique, Urok inspire à Levent Bakirci un chant assez fruste, souvent pris au piège d’un Sprechgesang rudimentaire, où il rejoint d’ailleurs beaucoup Alberich. Les autres clés de fa sauvent l’honneur : Oros à la noirceur aigrie de Ki-Hyun Park, Jagu tentateur d’Andrew Nolen. Et Franziska Krötenheerdt, à défaut de séduction capiteuse, a la fraîcheur d’Asa, Gabriella Guilfoil la raideur de Hedwig, qui, par haine du tzigane, sacrifie son amour de mère et maudit sa fille. Nancy avait réuni une distribution plus homogène. N’oublions pas le violon de Jagu, confié aux mains de Theodor Toschev, dont le chant très tzigane ramène Manru vers les siens et vers Asa. Michael Wendeberg et la Staatskapelle de Halle, le chœur aussi, très sollicité au I et au III, donnent le meilleur d’eux-mêmes, bien que l’on puisse attendre de cette direction tendue davantage de fluidité et de couleurs. S’agissant d’une œuvre assez rare à la scène et au disque, on aurait pu également éviter les coupures, fussent-elles d’usage. On ne les compte pas dans les deux premiers actes. L’introduction du III, vrai et beau poème symphonique, ne mérite certainement pas qu’on la passe à la trappe. Manru attend encore sa référence.
D.V.M.