Chef d’œuvre de la comédie italienne, Il turco in Italia peut légitimement être considéré comme un jalon entre la commedia dell’arte et la comédie napolitaine du xviiie siècle d’une part, et d’autre part (à grandes enjambées) le cinéma italien de l’après-guerre, notamment les comédies de Dino Risi. Chez les uns et les autres, les personnages sont traités à la fois avec tendresse et cruauté, le drame affleure sous le rire et la satire sociale n’est jamais loin. Plutôt qu’une énième mise en scène placée sous le signe du cinéma néo-réaliste, Laurent Pelly utilise un élément de culture populaire spécifiquement italien, né à la fin des années 1940, le roman-photo. Composé comme une bande-dessinée, la photographie y remplaçait le dessin, les histoires en étaient le plus souvent mélodramatiques, et le succès franchement populaire. Dès lors, Fiorilla est une lectrice assidue, qui rêve sa vie comme un roman-photo pour tromper l’ennui d’une vie rangée, dans un petit pavillon propret de la classe moyenne italienne des années 1960. Le dispositif scénographique de Chantal Thomas donne d’abord à voir la maison, puis des pages de roman-photo dont certaines cases servent de décor à l’action. Les personnages sont croqués selon une habile correspondance entre les caractères de l’opéra buffa et ceux du roman-photo, même s’il faut réaménager le rôle du poète, devenu assez facilement écrivain raté – et crasseux. Le style Pelly convient à l’intrigue et se présente sous son meilleur jour.

            En fosse, Giacomo Sagripanti dirige avec un même souci du détail et excite le nerf rossinien. Tempos tendus, sonorité légère et vive des cordes, belle mise en valeur des bois… l’orchestre rossinien révèle son charme et son caractère essentiel de protagoniste, certes attentif au plateau sous la baguette de Sagripanti, mais en rien un supplétif du chant.

            Ce soir Sara Blanch, souffrante, ne peut chanter Fiorilla, elle est remplacée au pied levé par Giuliana Gianfaldoni. La voix est jolie et le style maîtrisé, mais le personnage manque de caractère et aussi de volume sonore – effets d’un remplacement de dernière minute ? Son amant, le Don Narciso d’Alasdair Kent a l’aigu facile mais pincé et la souplesse de la vocalise manque d’italianità. Le plateau est mieux loti du côté des clefs de fa : le Geronio de Renato Girolami est parfaitement idiomatique, le baryton (qui fut élève de Sesto Bruscantini) campe un truculent personnage parfaitement à l’aise dans le legato comme dans le chant syllabique, d’une voix bien timbrée. Florian Sempey dit les récitatifs du poète Prosdocimo avec une gourmandise sonore, et Adrian Sâmpetrean est un très beau Selim. Son timbre chaleureux se coule dans une ligne bien conduite, que sert une voix aux registres bien soudés. La bien chantante Jenny Anne Flory met sa voix ample au service de Zaida, l’infortunée amante de Selim, malgré un italien moins compréhensible, et Filipp Varik (Albazar) a vu son air coupé au II – dommage car la voix est prometteuse, et le chanteur nous avait laissé un très bon souvenir dans Andrea Chénier à Paris.

            J.C.