Judith van Wanroij (Iphigénie), Stéphanie d’Oustrac (Clytemnestre), Cyrille Dubois (Achille), Tassis Christoyannis (Agamemnon), Jean-Sébastien Bou (Calchas), David Witczak (Patrocle, Arcas), les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles, Le Concert de la loge, dir. Julien Chauvin.

Alpha (2 CD). 1h56. 2022. Notice en français. Distr. Outhere.

 

Premier ouvrage composé par Gluck pour la France, en 1774 – l’année même où son élève Marie-Antoinette accède au pouvoir aux côtés de Louis XVI –, Iphigénie en Aulide a été beaucoup moins bien servie que sa petite sœur « en Tauride » : si l’on compte bizarrement deux intégrales de la version allemande réalisée par Wagner en 1847 (dont l’une avec Fischer-Dieskau), seul Gardiner avait jusqu’ici gravé la mouture originale, avec les forces de l’Opéra de Lyon (Erato, 1990).

 

À cette lecture recommandable, Chauvin en oppose une nouvelle, qui l’est presque autant, malgré ses divergences. La plus évidente tient au dénouement : Chauvin renonce à l’apparition de Diane – pour laquelle Gluck n’opta, semble-t-il, que dans un second temps –, au profit du récit fait par Calchas du sauvetage d’Iphigénie (narré par un messager, chez Euripide et Racine). Il rogne en outre sur les divertissements, supprimant celui des filles de Lesbos comme la passacaille finale et écourtant l’entrée de la princesse. Ce ne sont d’ailleurs pas ces pages d’apparat qui le motivent, non plus que les récitatifs, assez plats : ce sont les démêlés sentimentaux, les remords d’Agamemnon, les amours contrariées d’Iphigénie et d’Achille, traités avec une chaleur communicative. À la tête d’un orchestre expressif – particulièrement du côté des cordes, aux inflexions éminemment vocales , il adopte des tempi vifs tout en privilégiant le chant sur le rythme, la ligne sur les contrastes, l’intensité sur le mordant. Gardiner restait ancré dans l’esthétique baroque ; Chauvin, lui, se projette chez Mozart.

 

Il y est aidé par ses interprètes principaux, dont plusieurs tirent parti de leur expérience de liedersänger. Cela vaut pour l’Achille de Dubois, frémissant, passionné, héroïque sans cesser d’être tendre, tout autant que pour Christoyannis, qui déploie des trésors d’inflexions, de nuances, de silences dans les deux merveilleux monologues d’Agamemnon, dont il accentue le sentiment paternel au détriment de la morgue imposée par Van Dam. Chez Gardiner, la fin de l’acte II tournait au combat de coqs ; ici, ce sont plutôt deux façons d’aimer qui s’affrontent. Quant à Van Wanroij, si elle paraît d’abord un peu mûre pour camper une jeune vierge, elle nous fait rendre les armes dans ses trois airs du dernier acte, au phrasé richement soutenu, nourri et varié (« Il faut de mon destin »). Les petits rôles sont excellents (citons Anne-Sophie Petit, Jehanne Amzal et Marine Lafdal-Franc, en Grecques pleines de gaieté) et le chœur de Versailles relève crânement le gant lancé par le Monteverdi Choir. Seuls véritables regrets : un Calchas trop monochrome, sans les graves ni la cruauté insinuante que réclament son rôle et, surtout, une Clytemnestre à l’émission alourdie, souvent débraillée. Mais cette partition aussi dense que composite méritait bien une nouvelle approche.


 

O.R.