Asmik Grigorian (Rusalka), David Butt Philip (Le Prince), Aleksei Isaev (Vodnik), Emma Bell (La Duchesse), Sarah Connolly (Jezibaba), Hongni Wu (Kchtik), Ross Ramgobin (Hajny), Royal Opera Chorus, Orchestre du Royal Opera House, dir. Semyon Bychkov, mise en scène, Ann Yee et Natalie Abrahami.

Opus Arte DVD OA1384D. 2023. Distr. DistrArt Musique.

Covent Garden, 2023 : pendant que Semyon Bychkov entame le prélude assez froidement – mais bientôt le porte d’un vrai souffle lyrique – la scène s’ouvre sur ce qu’on imagine le fond de l’étang de Rusalka, où se croisent en nageant une ondine largement vêtue d’un jeté plissé, et un jeune homme en sous-vêtements blancs ; ballet aérien qui se veut allégorie d’un couple heureux, qu’on retrouvera au début de l’acte III où il perd sens immédiatement.

Le bord de la mare apparaît, sous une frondaison plate, percée d’un vaste trou central, comme hier au Lohengrin de François Girard au Met. On aura ici une Rusalka naturaliste, aux troncs moussus qui ceignent la mare, aux lichens qui habillent les trois nymphes : Chloe Lamford et Annemarie Woods n’ont pas vraiment le sens du décor contemporain, et la couronne de perles qui sert d’entrée au palais du Prince fait plus illustration graphique 1925 qu’élément dramaturgique fort.

La mise en place de Natalie Abrahami (on ne peut décemment parler de mise en scène à l’acte 1) ne sait rien des modernités d’aujourd’hui, comme du tréfonds psychologique des personnages. Le parti décoratif serait acceptable s’il était habité – ce qui est le cas de la scène du marmiton et du garde-chasse, mais pas ailleurs, où les pauvres contorsions signées Ann Yee n'ajoutent que le ridicule au vide de la direction d’acteurs. On découvre peu à peu qu’on regarde un plaidoyer écologiste, qui montre au III la nature défaite par l’homme. Disons que cela s’appelle simplement passer à côté du sujet ! Ou plus cruellement se planter dans les grandes largeurs. Amateurs des vertiges signés Pountney, Carsen, Herheim, passez votre chemin, ennui garanti.

Asmik Grigorian, dont c’est le second témoignage vidéo  (l’autre – C major est à Madrid, de 2020, où Christof Loy en avait fait une danseuse en béquilles), a l’air de s’ennuyer profondément, le corps inexpressif prisonnier de cette robe plissée qui masque toute présence corporelle, puis en épousée, attifée par une bien mauvaise couturière. Quant aux perruques blondes dont on l’affuble et au maquillage brillant, ils ruinent tout autant le visage dont on sait les merveilles d’expressivité.

Ni le Prince de David Butt Philip, vocalement un peu brut de décoffrage, ni la Princesse étrangère (qu’on a rebaptisée Duchesse sans qu’on sache pourquoi) d’Emma Bell n’éblouissent : leur duo semble deux monologues que rien n’unit. Le Vodnik d’Aleksei Isaev chante beau mais exprime peu, paralysé aussi par sa robe d’eau, à l’inverse de la Jezibaba de Sarah Connolly qui exprime beaucoup mais s’égare vocalement dans le rôle.

Reste un orchestre brillant, enlevé, aux couleurs slaves dynamiques ou rêveuses parfois, même si la captation le rend un peu trop bruyant dans les nuances les plus raffinées que sait lui inculquer un Bychkov à la direction sonore, vive et poétique quand il le faut. L’acte III est le seul marquant, Grigorian y retrouvant le dramatisme qui est sa vérité de chant, et l’orchestre en soulignant bien le développement. Mais Butt Philip s’y époumone bouche grand ouverte au point de rendre la chose irregardable. Mais la laideur ambiante y tient plus encore sa part. Fleming/Carsen/Conlon, Papatanasiu/Herheim/Fischer, Grigorian/Loy/Bolton restent les évidentes priorités.

 

P.F.