On connaissait cette Iphigénie « en Crimée », transposée par Rafael R. Villalobos au cœur de la guerre russo-ukrainienne, dans le théâtre bombardé de Marioupol, pour en avoir vu la création à Montpellier, la saison dernière. Pour sa reprise sur la scène de l’Opéra des Flandres, le metteur en scène n’a renoncé à aucun de ses excès. Pétries de bruit et de fureur, les premières scènes mettent toujours en danger la musicalité, obligeant les Scythes à brailler leur chœur sauvage et la plupart des chanteurs à forcer sur le volume, au détriment de la clarté. Thoas est resté ce pleutre, tout à la fois violeur et impuissant, et la brutalité comme l’hémoglobine y sont toujours aussi débordants. La dimension religieuse ayant été évacuée, le sacrifice d’Oreste n'est qu'une simple exécution, revolver au poing. Dans un tel contexte, l’apparition de Diane en dea ex machina paraît évidemment totalement incongrue, ce que ne manque pas de souligner son costume. Les deux scènes empruntées à Euripide et à Sophocle - les adieux d’Agamemnon à Clytemnestre et le repas familial au début du troisième acte -, théâtre dans le théâtre censé éclairer le spectateur sur les arrière-plans de l’intrigue, paraissent toujours aussi superflues. Toutefois, la mise en scène et la direction d’acteurs ont gagné en naturel et l'ensemble en fluidité. Il faut sans doute créditer la direction de Benjamin Bayl qui, à l’inverse de celle de Pierre Dumoussaud à Montpellier, ne cherche pas à singer le style baroque mais se cantonne dans un classicisme de bon aloi, avec des tempi raisonnables et équilibrés, face à un orchestre sur instruments modernes, ce qui est particulièrement frappant dans l’air de Thoas qui peut enfin chanter de façon tout à fait compréhensible.
La distribution entièrement renouvelée ne comporte pas vraiment d’élément faible mais manque un peu d’homogénéité, surtout du côté de l’articulation française. Succédant au soprano lyrique de Vannina Santoni, la mezzo Michèle Losier possède la tessiture centrale que réclame le rôle-titre mais son Iphigénie est la plupart du temps incompréhensible et nettement moins subtile et variée que ne l’était celle de sa devancière. Si le français de Kartal Karagedik un peu inégal reste globalement acceptable, son Oreste puissant mais trop démonstratif n’a pas cette profondeur que lui donnait Jean-Sébastien Bou et sa tenue en scène assez sommaire ne traduit guère les aspects torturés de son personnage. Sa voix toutefois se marie parfaitement à celle claire et brillante de Reinoud Van Mechelen qui ne fait qu’une bouchée de la tessiture de haute-contre de Pylade, donnant à son air « tendre » du premier acte toutes les nuances souhaitées. Dans une version où a été bannie toute forme d’ornement, il est le seul à s’offrir une infime cadence aiguë dans son air héroïque du troisième acte. Le Thoas du baryton Wolfgang Stefan Schwaiger, bien chantant, paraît un peu clair pour un rôle que l’on imagine plus volontiers confié à une voix plus large. Il faut saluer la beauté et l’homogénéité du chœur féminin et la qualité des petits rôles, la plupart tenus par les membres de l’Académie de l'Opéra des Flandres, parmi lesquels se distingue particulièrement la Diane de Lucy Gibbs. Au final, malgré ces nombreuses réserves, le spectacle se taille un beau succès, avec des applaudissements nettement plus accentués pour le ténor.
A.C
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